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CHRONIQUE PAR ...

84
Nicopol
Cette chronique a été mise en ligne le 01 juin 2021
Sa note : 14/20

LINE UP

-Nick Cave
(chant+piano+orgue+harmonica)

-Mick Harvey
(guitare rythmique+orgue+piano+...)

-Blixa Bargeld
(guitare+choeurs)

-Conway Savage
(piano+chant+Fender Rhodes+choeurs)

-Martyn P. Casey
(basse+choeurs)

-Thomas Wydler
(batterie+congas+choeurs)

TRACKLIST

1) Papa Won't Leave You, Henry
2) Had a Dream, Joe
3) Straight to You
4) Brother, My Cup Is Empty
5) Christina the Astonishing
6) When I First Came to Town
7) John Finn's Wife
8) Loom of the Land

9) Jack the Ripper

DISCOGRAPHIE


Nick Cave And The Bad Seeds - Henry’s Dream
(1992) - folk dark - Label : Mute



Ouf ! Nous avons eu peur ! Il faut dire qu’après le paroxysme junky de la période Tender Prey, Nick Cave avait décidé de se calmer un peu. Et voilà qu’après avoir passé une bonne année en cure de désintoxication, abandonné la froide grisaille berlinoise pour le soleil brésilien, découvert au passage qu’être amoureux et fonder une famille c’était quand même mieux que de s’autodétruire dans l’héroïne, Nick s’était mis au piano et au song-writing assidu et nous avait finalement livré un inattendu et magnifique album de chansons d’amour, de gospel apaisé et de comptines à la sauce Bad Seeds… Magnifique, certes mais tellement loin du post-punk dérangé auquel il nous avait habitué - et pour lequel, au fond, on l’aimait ! Mais chassez le naturel…

Non, Nick Cave n’était pas devenu ce crooner romantique et popisant que beaucoup avaient craint de voir en ce début des années 90. S’il n’est plus l’épave christique et ravagée de ses années d’excès, il reste bel et bien fasciné par le côté sombre et douloureux de l’existence, ces situations extrêmes de la vie où les sentiments normaux de l’être humain dérapent et l’entraînent dans la débauche et la violence. Ayant vécu au cours de son intermède brésilien des expériences de bonheur inédites – amour et paternité, douce piété de la foi latino-américaine, atmosphère joyeuse et mélancolique à la fois du pays de la saudade… - il nous en restitue ici l’envers du décor, ce que l’on voit au bout du compte lorsque la magie initiale s’estompe : violence de la vie conjugale, misère des pays du tiers monde, dérive sectaire de la religion… "Papa Won’t Leave You, Henry" évoque ainsi la désillusion d’un homme qui pensait recommencer sa vie en Amérique du Sud et n’y retrouve qu’un enfer glauque, violent et pluvieux, hanté de transsexuels, d’enfants des favelas, d’escadrons de la mort et de bébés sans cerveaux (référence à un scandale pharmaceutique particulièrement sordide qui défrayait alors la chronique au Brésil). Sur le même registre de la désillusion, "I Had a Dream, Joe" raconte l’histoire d’un homme en crise avec la foi fondant une sorte de secte sataniste, et "Jack the Ripper" le calvaire d’un malheureux battu par une femme castratrice (qui transforme le lit conjugal en « couteau de boucher » et « crie à Jack l’Eventreur » à chaque fois qu’il essaye de l’embrasser !). De même le narrateur de "Straight to You" pleure-t-il la fin d’un amour vécue littéralement comme la fin du monde...
Autant de chansons d’inspiration autobiographique qui inscrivent cet album dans la veine de la confessional poetry d’un John Berryman, dont le recueil Dream Songs, succession d’hallucinations d’un être misanthrope et obsédé par le suicide dénommé Henry, inspire justement le titre de l’album tout autant que sa forme poétique. C’est ainsi que nous suivons l’errance de cet alter-ego onirique du chanteur, chassé comme un paria de toutes les villes du Far West qu’il habite et préméditant sa terrible vengeance contre leurs populations puritaines et malveillantes ("When I First Came to Town", inspiré du classique folk écossais "Katie Cruel" et renvoyant à la propre errance continentale du King Ink, de l’Australie à l’Amérique du Sud en passant par l’Europe) ; que nous le retrouvons dans l’arrière-salle d’un bar sordide, autocomplaisant et schizophrène, s’apitoyant sur son ascension éphémère et sa déchéance pathétique ("Brother, My Cup Is Empty" et son dérisoire « I am the captain of my pain » parodiant William Henley). Dans le registre plus classique de la murder song, "John Finn’s Wife" raconte le meurtre passionnel d’un notable de salle de bal par le petit voyou qui convoite la femme vaguement nymphomane de celui-ci, tandis que "Christina the Astonishing" dresse le récit des étranges et loufoques miracles d’une sainte fort peu conformiste : un titre qui semble quelque peu hors sujet tant que l’on ne sait pas qu’il s’agit en fait de la populaire sainte-patronne… des lunatiques et des malades mentaux ! Sans oublier une poignante ballade romantique dans laquelle Nick Cave nous rappelle que, si sa vie reste encore une sorte de désastre, il garde malgré tout la foi en la possibilité d’un véritable bonheur, quelque part à l’écart du monde ("Loom of the Land")...
Voilà pour le fond ; qu’en est-il de la forme ? Musicalement, les Bad Seeds nous prennent une nouvelle fois au dépourvu. A peine catalogué « crooner à piano », Nick Cave se réinvente déjà et nous propose un disque à base de guitares acoustiques, sonnant très western music et s’inspirant par-delà du folklore des premiers immigrants anglo-saxons (la photo de la pochette semble d’ailleurs prise au bord d’une highway traversant les plaines sèches du Far West...). Mais cataloguer ce disque dans la rubrique folk serait très réducteur : car, de même qu’ils avaient inventé une sorte de « punk-blues » sur The First Born is Dead, les Bad Seeds parviennent ici à sonner encore punk en jouant de la country ! Le jeu de guitare y est en effet assez particulier, s’inspirant d’un style percussif découvert chez des musiciens de rue brésiliens, et insufflant une énergie brute, sauvage, à la texture des morceaux. Autre évolution notable par rapport aux albums précédents, le groupe s’est adjoint les services d’un « vrai » bassiste, dont les lignes classieuses confèrent aux morceaux un aspect davantage structuré et maîtrisé. Se rajoute à ceci le fait que, pour la première fois, Nick Cave arrivait en studio avec des chansons écrites, lentement mûries au cours de ses longues promenades à Sao Paulo, et une idée claire de la façon dont il voulait les entendre sonner. Enfin, idée brillante de leur maison de disques, le groupe a travaillé cette fois-ci avec un producteur réputé, David Briggs, adepte de l’enregistrement « live » et surtout connu pour avoir produit certains des meilleurs albums de Neil Young. Cette nouvelle approche créative tranche bien entendu radicalement avec celle des albums européens, produits au forceps d’interminables séances de semi-improvisations poudreuses et d’usage anarchique de l’overdub…
Hélas… Séduisantes sur le papier, toutes ces bonnes idées se révélèrent en pratique assez décevantes. En effet, Briggs, aussi étranger au monde du post-punk européen que Nick Cave l’était à la musique psychédélique californienne, avait sa propre idée de la manière dont le disque devait sonner… et cette idée n’était pas du tout celle du chanteur ! Ainsi, au lieu de cette ancienne salle de bal nazie qu’était le mythique studio Hansa à Berlin, dont l’atmosphère et l’acoustique particulières étaient propices à la musique dérangeante du groupe, l’album fut enregistré dans un fade studio de Los Angeles (Nick Cave à Los Angeles ! L’idée même paraît totalement grotesque), lui conférant un rendu relativement dépouillé et aseptisé contrastant radicalement avec le son très garage de leurs premiers albums. Le résultat fut jugé tellement désastreux par Nick Cave qu’il fut obligé de faire remixer en catastrophe l’album en Australie par leur producteur habituel, Tony Cohen, sûrement beaucoup moins « pro » que l’ami Briggs mais totalement dans le trip malsain du groupe depuis The Birthday Party. Malgré cela, le mal était fait lors de l’enregistrement, et Nick Cave renia quasiment cet album, lui jugeant même supérieur le rendu des démos bricolées avant l’enregistrement californiens ; il s’empressera d’ailleurs de réenregistrer une partie des morceaux pour son premier album live, l’excellent Live Seeds, en les présentant comme les véritables versions qu’il avait en tête. Ironie du sort, ceci n’empêcha pourtant pas l’album de figurer parmi les préférés des fans du groupe…
Et il est vrai que, passé le premier moment de surprise devant le son très live et propre à la fois de l’album, tout n’est pas à jeter. Le rendu percussif des guitares acoustiques est particulièrement furieux sur des morceaux abrasifs comme "Papa Won’t Live You, Henry", "I Had a Dream, Joe" ou "Jack the Ripper", un titre vraiment vicieux et méchant digne des Birthday Party ; des nappes d’orgues apportent au contraire un soupçon de gravité et de douceur sur "Straight to You", "Loom of the Land" ou le vaporeux et presque atmosphérique "Christina The Astonishing", tandis que des violons brûlants introduisent une sérieuse dose de tension et d’horreur sur "Papa Won’t Live You, Henry" et "John Finn’s Wife". Ces deux derniers morceaux illustrent d’ailleurs à la perfection l’art du crescendo qui caractérise la musique des Bad Seeds, l’alternance parfaitement dosée de calme et de violence, la construction subtile d’une menace sourde explosant soudainement en un climax de brutalité. "John Finn’s Wife" constitue en la matière un véritable petit chef-d’œuvre, sans doute parmi les tous meilleurs morceaux du groupe qui y installe là par petites touches une tension moite et érotique (« And I slip my hand between the thighs of John Finn's wife / And they seemed to yawn awake, her thighs / It was a warm and very ferocious night / The moon full of blood and light ») montant en intensité (« Now the night bore down upon us all / You could hear the crickets in the thickets call ») jusqu’à un bref déchaînement final de sauvagerie pas loin d’être inégalé dans leur discographie pourtant riche en la matière (« And I planted my bolo knife in the neck / Of mad John Finn » : à ce moment de la chanson, vous avez vraiment physiquement envie de planter vous-même un couteau dans le cou de ce maudit John Finn – et de baiser sa femme !).
Au niveau des paroles, par contre, pas l’ombre d’un doute : c’est du tout bon. Recueillant les fruits du long travail d’écriture auquel il s’était astreint pour son premier roman, And the Ass saw the Angel…, Nick Cave achève là l’évolution, entamée dès son premier album post-Birthday Party, le menant d’une écriture compulsive et parfois cryptique à un véritable art du story-telling parfaitement maîtrisé tout en restant imprégné de fantastique et de surréalisme (un « fag in a whale-bone corset » dans un bordel de Rio, les « legs like scisors and butcher’s knife » de la femme de John Finn…). Le Nick Cave poète et écrivain s’y inscrit plus que jamais dans la veine du Southern Gothic d’un Faulkner, d’un Tennessee William ou de la Flannery O'Connor de Wise Blood, dont "I Had a Dream, Joe" constitue justement une illustration musicale quelque peu décousue (avec son « shadowy jesus flitted from tree to tree », son « pimp in seersucker suit sucked a toothpick » et autres « society of whores stuck needles in an image of me »…). De même, une chanson comme "Papa Won’t Leave You, Henry" contient des lignes totalement flippantes comme « Entire towns being washed away / Favelas exploding on inflammable spillways / Lynch-mobs, death squads, babies being born without brains / The mad heat and the relentless rains », qu’on dirait tout droit sorties du Howl d’Allen Ginsberg, autre grand adepte s’il en est de la confessional poetry. Dans un autre registre poétique, "Loom of the Land" n’est pas loin de constituer la plus belle chanson d’amour du monde, sur fond de désert nocturne à l’infini (« And we walked and walked / Across the endless sands / Just me and my Sally / Along the loom of the land »)...


Au final, sans doute pas le meilleur disque de Nick Cave, en tout cas pas le chef-d’œuvre absolu que certains veulent y voir, et certainement pas la quintessence de ce que se jugeait capable d’offrir un groupe qui le considère toujours comme un « raté » de sa discographie. Un album poétiquement brillant mais inégal musicalement, avec une majorité de chanson raisonnablement bonnes dans l’absolu bien que presque quelconques selon les standards très élevés du groupe. Mais rien que pour les 2 brûlots absolus que sont "Papa Won’t Leave You, Henry" et "John Finn’s Wife", et la chanson d’amour ultime "Loom of the Land", cet Henry’s Dream renié mérite largement le détour ! Et n’oublions pas que, même s’il constitue une sorte d’anomalie musicale dans sa carrière, il s’agit d’un album plus accessible qui a permis à beaucoup de découvrir l’immense, l’incomparable artiste qu’est Nick Cave…


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