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CHRONIQUE PAR ...

84
Nicopol
Cette chronique a été mise en ligne le 01 juin 2021
Sa note : 15/20

LINE UP

-Nick Cave
(chant+piano+synthétiseur)

-Warren Ellis
(choeurs+piano+synthétiseur+boucles+flûte+violon)

-George Vjestica
(guitare)

-Martyn P. Casey
(basse)

-Jim Sclavunos
(vibraphone+percussions)

-Thomas Wydler
(batterie)

TRACKLIST

Part One
1) Spinning Song
2) Bright Horses

3) Waiting for You
4) Night Raid
5) Sun Forest
6) Galleon Ship
7) Ghosteen Speaks
8) Leviathan

Part Two
9) Ghosteen
10) Fireflies
11) Hollywood

DISCOGRAPHIE


(2019) - rock electro rock alternatif - Label : Ghosteen Ltd



Rarement album aura été plus attendu que cette dernière sortie de Nick Cave et de ses fidèles Bad Seeds. On se souvient que son précédent opus, Skeleton Tree, était encore en cours de production au moment de la mort de l’un de ses fils, tombé du haut des falaises de Brighton. La disparition tragique de cet adolescent obscurcissait ce disque de prémonitions cauchemardesques, mais l’heure était encore au choc, à la sidération, à la révolte impuissante. Ghosteen est le véritable album du deuil pour le chanteur, celui dans lequel il doit répondre à la question la plus douloureuse qu’il soit : peut-on accepter et surmonter la perte d’un être aussi cher ? La vie vaut-elle encore d’être vécue après un tel drame, et comment retrouver la force de continuer ?

La première chose qui frappe à l’écoute de ces onze titres, c’est la relative continuité sonore avec son prédécesseur : une succession de plages de musique électronique, entre l’ambient et le new-age, sur ce registre auquel Cave et son inséparable comparse Warren Ellis nous ont désormais habitués au travers de leurs bandes originales de films. Les synthétiseurs sont à nouveau omniprésents, enveloppant la basse assourdie et caverneuse de Martin P. Casey pour tisser une trame harmonique mystérieuse et palpitante, à peine rehaussée de quelques volutes délicates de piano ou de violon. Les autres instruments sont limités à de rares touches minimalistes - ici des échos de vibraphone ("Night Raid", "Leviathan"), là un bruissement de cymbales ("Ghosteen") ou de percussions tribales ("Hollywood", le seul moment de véritable tension avec ses paroles menaçantes à la Bret Easton Ellis : « I'm nearly all the way to Malibu / I’m gonna buy me a house in the hills / With a tear-shaped pool and a gun that kills »). L’ambiance est toutefois moins oppressante que sur Skeleton Tree, plus mélodieuse, plus aérée, atteignant par moments une ampleur quasi-cinématographique : "Bright Horses" fait penser à ce train de banlieue mis en musique par Thomas Newman dans Revolutionary Road (« But my baby's coming home now, on the 5:30 train »), tandis que les majestueuses nappes de synthé de "Ghosteen" évoquent Vangelis ou l’Angelo Badalamenti de Mulholland Drive. La voix de Nick Cave est à l’unisson de cette sérénité retrouvée : plus assurée, plus affirmée, plus profonde dans son baryton régénéré que les gémissements hésitants de l’homme brisé qu’il était sur Skeleton Tree ; mais n’hésitant pas à monter par moment dans des falsettos surprenants et hauts perchés, comme sur "Spinning Song", "Waiting for You" ou l’étrange deuxième partie d’ "Hollywood". Warren Ellis, toujours lui, offre également de splendides backing-vocaux, élégiaques, éthérés, à la fois solennels et lumineux, avec plusieurs passages bouleversants dans lesquels il accompagne le chanteur en une élévation touchant à la grâce (les magnifiques "Spinning Song", "Sun Forest" et "Hollywood").
L’atmosphère de Ghosteen est à la méditation, empreinte de douceur et de tendresse (le rythme de valse lent de "Spinning Song", "Bright Horses" et "Sun Forest"), parfois même joyeuse (le petit break espiègle de "Ghosteen"). Ce n’est plus la musique d’un homme anéanti et désespéré, mais d’un survivant qui accepte désormais les choses telles qu’elles sont, confirmant et prolongeant ainsi le messages d’espoir qui concluait envers et contre tout le crépusculaire Skeleton Tree (le titre éponyme ou le magnifique "Distant Sky", dont la tonalité à la fois grave et douce se retrouve tout au long de Ghosteen). Les textes de Cave, plus impressionnistes que jamais, s’accordent parfaitement à cet état d’esprit méditatif, nous invitant à retrouver la paix dans la contemplation de la Nature - que ce soit sur cette splendide pochette, qui évoque moins le Jardin d’Eden biblique que ces Arbres de Vie luxuriants des spiritualités orientales symbolisant l’énergie cosmique, ou dans cette évocation omniprésente d’animaux (chevaux, ours, pumas, lucioles, papillons…), de plantes (arbres exotiques, forêts ensoleillées, et le jardin de contes de fée de "Spinning Song"), de phénomènes marins (l’océan d’ "Hollywood", les marées et les courants sur "Ghosteen") ou célestes (le soleil, la lune, la lumière des étoiles). Cette évocation de la Nature prend même par moment des formes oniriques, quasi-hallucinatoires, comme ces chevaux sauvages traversant la ville, la crinière enflammée ("Bright Horses"), ou cette panthère farouche qui hante les collines de Malibu mais vient la nuit, toute tremblante, dans les bras du narrateur ("Hollywood").
Comme sur Abattoir Blues / The Lyre of Orpheus, cet émerveillement panthéiste devant l’immanence de la Nature est indissociable de l’amour entre l’homme et la femme – thème que l’on retrouvait déjà sur des titres comme "Loom of the Land" (Henry’s Dream) ou "The Boatman Call". Ainsi que le suggérait Skeleton Tree, c’est au travers de l’amour infini pour sa femme, Susie Bick, la mère de son fils disparu, que Cave parvient à retrouver, malgré le drame qui les a frappés, cette énergie vitale qui irrigue son œuvre depuis sa prise de distance avec la métaphysique morbide du Judéo-Christianisme (« And it isn't any fun, no, it isn't any fun », déplore encore le chanteur à propos de la crucifixion de Jésus sur "Sun Forest"). Certes, l’homme reste violent et insensé (« Everyone is hidden, everyone is cruel / There’s no shortage of tyrants, and no shortage of fools », profère-t-il sur "Bright Horses"), errant sans repère dans un monde désenchanté (« Horses are just horses and their manes aren’t full of fire / And the fields are just fields and there ain’t no lord », "Bright Horses" encore) ; certes, nos vies sont placées sous le sceau de la vacuité, de l’impermanence et de l’absurde (« They were just a sigh released from a dying star / They were runaway flakes of snow », psalmodie-t-il sur "Night Raid", enfonçant le clou sur le spoken words "Fireflies" : « We are photons released from a dying star / We are fireflies a child has trapped in a jar […] There is no order here and nothing can be planned »). Mais malgré tout, comme Camus dans Le Mythe de Sisyphe, Cave réaffirme dans l’amour son approbation inconditionnelle de l’existence et du monde tel qu’il est (« This world is beautiful », ouvre-t-il "Ghosteen" comme une profession de foi). C’est bien cet amour païen de la vie dans toutes ses dimensions, même et surtout les plus douloureuses, qui permet à Cave de surmonter le deuil de son fils ; c’est l’acceptation de la souffrance comme vérité immuable qui lui permet de dépasser l’auto-apitoiement et d’accéder à la compassion universelle (la parabole bouddhiste de Kisa et des Graines de Moutardes par laquelle le King Ink conclut l’album sur la deuxième partie d’ "Hollywood", dans une veine story-telling qu’on ne lui avait plus connue depuis ses Murder Ballads).
L’épreuve du deuil, finalement, permet à Nick Cave de se reconnecter avec le Monde, d’éprouver l’interrelation de toute chose et de tout être (« I am within you, you are within me », "Ghosteen Speaks"), d’accéder à une conscience supérieure de l’existence – une conscience qui ne se limite pas au visible, mais découvre l’invisible (« There’s nothing wrong with loving something / You can’t hold in your hand » sur "Ghosteen"). Il se distille quelque chose de magique, d’animiste, dans ce disque parcouru d’esprits réincarnés : le titre de l’album, bien entendu – "Ghosteen", le fantôme adolescent, l’esprit migrateur de son fils (1), petit esprit dansant sur le titre éponyme (« Ghosteen dances in my hand / Dancing dancing all around ») ou sur "Birgh Horses" (« And the little white shape dancing at the end of the hall / is just a wish that time can’t dissolve at all ») ;  l’ambiance de transe chamanique d’ "Hollywood", avec cet enfant-chauve-souris qui apparaît fugitivement dans la lumière de ses phares ; et tous ces animaux fabuleux dont il peuple ses textes, qui font penser aux totems protecteurs des cultures amérindiennes décrites par Carlos Castaneda. Cave parle ailleurs de cette présence invisible et protectrice de son fils, dont la réalité n’est pas liée à son existence matérielle, mais à ce qu’elle leur apporte de réconfort, à lui et à sa femme (2). La forme électronique de l’album prend alors toute sa signification, lorsqu’on se rappelle que Bob Moog lui-même, l’inventeur du synthétiseur, voyait une dimension spirituelle dans ses ondes analogiques… Une dimension spirituelle, et même ésotérique, qui atteint son paroxysme lorsque Cave, sur "Sun Forest", évoque ces enfants qui montent en spirale s’immoler dans le soleil (« Come on everyone, come on everyone / A spiral of children climbs up to the sun / To the sun, to the sun taking everyone ») – image elle-aussi hallucinante, extatique, que l’on retrouve en écho sur le dernier morceau, "Hollywood", dans lequel le chanteur aspire lui-même à cette délivrance (« And I’m waiting now for my time to come / And I’m waiting now for my place in the sun / And I’m waiting now for peace to come ») – des vers déchirants qui peuvent tout aussi bien évoquer la fusion dans le "Grand Tout" que l’anéantissement dans la mort…
Cet album est-il le chef-d’œuvre absolu et définitif que beaucoup de chroniqueurs veulent déjà voir ? On n’est pas forcé de partager cet avis, qui demande à être nuancé. Si certains titres sont sans discussion d’une puissance émotionnelle rarement, sinon jamais atteinte dans la discographie de Nick Cave (les chœurs en crescendo de "Spinning Song", "Sun Forest" et "Hollywood"), l’absence de rythme et la texture uniforme des morceaux peut parfois plonger l’auditeur dans une certaine léthargie, la frontière ténue entre la méditation et l’ennui étant parfois franchie (notamment sur les répétitifs et sentencieux "Waiting for You", "Galleon Ship" et "Leviathan", ou le désagréable "Night Raid" avec son vibraphone dissonant). On peut aussi se demander si, comme pour The Boatman Call, il était justifié de sortir ce disque sous l’étiquette "… and the Bad Seeds", tant la présence de ceux-ci reste fantomatique : on s’imaginerait plus sur un album solo de Cave, avec Warren Ellis jouant le rôle de Brian Eno sur la trilogie berlinoise de Bowie. Il s’agit pourtant ici de toute autre chose : autant sur The Boatman Call Cave s’épanchait-il avec une auto-complaisance narcissique douteuse sur ses déboires conjugaux et sentimentaux (voir notre chronique), autant il se présente ici humblement comme un homme vulnérable, qui a besoin d’être entouré de ses proches pour surmonter la tragédie qui le frappe (« I think my friends have gathered here for me / To be beside me / Look for me », remercie-t-il sur "Ghosteen Speaks"). Une démarche similaire, au fond, à celle qui le pousse à se rapprocher de son public, que ce soit dans le contact charnel recherché lors de ses concerts, au travers de sa tournée de "Conversations with Nick Cave » (au cours de laquelle il interagit sans préparation avec l’assistance), ou par le site Red Hand File, sur lequel il répond aux préoccupations, tantôt triviales, tantôt existentielles, de ses fans. Que les Bad Seeds ne s’entendent pas, dans ce sens, est secondaire : l’important est qu’ils soient là, autour du chanteur, pour l’accompagner dans son travail de deuil…  


L’apaisement sera long à trouver pour Nick Cave (« Peace will come » chante-t-il sur l’ouverture "Spinning Song" ; « It’s a long way to find / Peace of mind », conclut-t-il sur "Hollywood") ; mais le message essentiel, vital, de Ghosteen est que le chanteur, envers et contre-tout, en affirme la possibilité (« I was halfway to the Pacific Coast », témoigne-t-il sur ce dernier morceau - à mi-chemin des plages sereines du Pacifique, loin des eaux tourmentées de l’Atlantique dans lesquelles son fils a sombré…). Mais quel homme sera-t-il alors au terme de ce processus, et quelle musique pourra-t-il encore créer de son âme transformée ? Ghosteen, on le sait, vient clôturer une trilogie amorcée en 2013 avec Push the Sky Away ; il est sans doute vain d’attendre le retour de l’ "ancien" Cave, le punk ironique et séminal de Tender Prey ou du side-project Grinderman. Ghosteen, au bout de son écoute, semble finalement inviter l’auditeur à faire, lui aussi, le deuil de celui que fut jadis Nick Cave…

(1) « The songs on the first album are the children. The songs on the second album are their parents. Ghosteen is a migrating spirit. »
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 (2) « Within that whirling gyre all manner of madnesses exist; ghosts and spirits and dream visitations, and everything else that we, in our anguish, will into existence. These are precious gifts that are as valid and as real as we need them to be. They are the spirit guides that lead us out of the darkness. I feel the presence of my son, all around, but he may not be there. I hear him talk to me, parent me, guide me, though he may not be there »
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