Les amateurs de Nick Cave l’ayant suivi post-Birthday Party et ayant été fauchés par ses compositions démentes et déglinguées ont dû tomber sur le cul en écoutant un truc pareil… Et oui, petit amateur de post-punk malsain et toxico’, cet album ne t’est pas adressé. Il est adressé à Nick Cave. Un Nick Cave serein, qui a lâché l’héroïne pour mieux tombé sur son piano et nous composer des chansons douces que votre maman ne vous chantera sûrement jamais. Suffit de voir la pochette: après cinq ans d’horreur où Cave nous imposait sa gueule (et ses coupes de cheveux) il a choisi un costume blanc et s’est posé devant une ribambelles de petites vierges pour leur jouer ses plus belles compositions.
Tout l’album semble d’ailleurs être dédié au piano et aux voix, un mélange de gospel-crooner acoustique, en somme. Très doux, délaissant l’électricité sur huit des neuf titres (ça fait quand même un paquet), les claviers se succèdent, qu’ils soient pianos à queue, orgues, clavecins ou synthétiseur brut. N’oublions pas le gadget indispensable du style: l’ensemble de cordes. Et voici un bien bel album, calme et détendu, ou tout n’est que paix et candeur. On pourrait le comparer à un No More Shall We Part en construction. Moins triste, cela dit. Il partage pourtant beaucoup d’affinité avec ce dernier: de belles histoires où se mêlent des voix exceptionnellement bien exploitées ("Foi Na Cruz", "Sorrow’s Child"), un rapport direct avec Dieu, des tempos lent et des chorus percutants ("The Good Son", "The Weeping Song") qui semblent toujours atteindre les cieux.
Démarrant par un des plus beaux titres de Nick Cave tout style confondu, "Foi Na Cruz", peu s’en faut de se mettre à croire aux anges. Un gospel très doux, aucune grandiloquence desservant généralement le genre, la batterie se fait vaporeuse tandis que la guitare suit doucement la mélodie des violons, et le piano, toujours discret, donne une touche d’intimité que les louanges provoquent bien rarement. Et que dire de ces harmonies vocales? Que celui qui ne s’est pas mis à chanter en entendant « Foi na cruz, foi na cruz / Que um dia / Meus pecados castigados em Jesus » me jette la première pierre. On peut déceler trois superbes harmonies rien que dans ce refrain, et en cherchant bien, on doit pouvoir en trouver au moins six autres. Du pain béni pour une chorale. Entendre les Bad Seeds entonner ce chorus est d’une beauté inestimable. Réécoutez "The Curse Of Millhaven" après ça, et vous ne pourrez que faire un chapeau bas à Nick Cave, Mick Harvey et Blixa Bargeld pour de telles performances vocales.
Quelques chansons plus loin, on retrouve d’ailleurs Blixa Bargeld au chant sur "The Weeping Song", une discussion avec Nick Cave sur la tristesse qu’éprouvent les hommes. Superbe texte, magnifié par la divine interprétation du duo se fondant dans une relation père/fils du plus bel effet, leurs voix se ressemblant comme deux gouttes de larmes. Les percussions et les claps sont utilisés à merveille, le thème de la chanson semblant déteindre sur chaque clochette, sur chaque peau, pour nous transmettre un message très sensible d’espoir face à la détresse: « This is a weeping song / But I won’t be weeping long… » Construite sur une base semblable, nous ne pouvions échapper à la traditionnelle chanson d’amour. "Lucy", si elle est loin des plus belles chansons du Cave, réussit comme d’habitude à poser une patte triste sur un texte qui sait parler du coeur sans tomber dans la niaiserie profonde.
On peut s’attarder un petit moment également sur deux morceaux très contemplatifs qui marchent ensemble: "The Good Son" et "Sorrow’s Child". Le premier débute tel un gospel, on jurerait que Nick Cave parle de lui-même et de sa longue évolution, de l’enfant agité qu’il était jusqu’à cet homme paisible en costume blanc. Un des forts moments de l’album est justement ce refrain où tous les instruments se taisent et que Cave entonne ce « The good sooon! » sur des nappes de violons. Le second touche la grâce durant les quelques secondes de break où le piano répond aux violons et nous apporte un sens de la mélancolie inégalé. Même si le style acoustique des Bad Seeds est encore embryonnaire, Cave maîtrisait déjà une profonde intensité dramatique qu’il laissera pleinement s’exploiter quelques années plus tard.
Si ce n’est "The Hammer Song", seul morceau légèrement électrifié où Cave s’autorise à crier, les autres chansons peuvent sembler plus anecdotiques. "The Witness Song" est un bon produit typiquement gospel dont les chorus soutenus à grand renforts de chœurs et de claps sont réellement jouissifs mais la composition est malheureusement gâchée par un break vocal bienvenu mais décidément trop long. "The Ship Song" et "Lament" sont de jolies chansons, correctement composées et interprétées, mais le sceau Bad Seeds ne s’y appose pas dans toute sa grandeur, elles laissent une grisante impression d’inachevé, voir de légèrement téléphoné.
Sur neuf morceaux, deux erreurs de parcours (qui n’en sont pas vraiment d’ailleurs, les morceaux ne sont pas mauvais pour autant) ne seront probablement pas un frein pour l’amateur. Ne serait-ce que pour son travail sur les chœurs et l’ensemble de cordes, cet album vaut largement le coup d’y jeter un oreille. Si vous ne faites donc pas partie des hordes ne jurant que par le post-punk, vous ne pourrez être déçus par cet album, imparfait mais pourtant tellement beau…