Prenez My Dying Bride, formation culte de la scène doom. Ayant posé certains albums fondateurs du genre, le groupe a ensuite dérivée vers les rives plus convenues d'un doom à tendance gothique, moins lourd et globalement plus sage. Maintenant, reprenez le tout mais enlevez les lignes de chants, le jeu de batterie, les riffs de guitares et les parties de basse. Que vous reste t-il ? Le clavier. Simplement ce bête clavier. Voici le maître d'Evinta, véritable exception au sein de la discographie des Anglais et de leur mariée, qui, la pauvre, n'en finit pas d'attendre la mort.
Evinta est un projet ambitieux célébrant les 20 ans de la formation. L'idée initiale consistait à réarranger les thèmes les plus déchirants du catalogue de My Dying Bride en de longues pièces symphoniques. Forcément, dès l'annonce du projet, on imagine qu'il va nous en mettre plein la vue, qu'il va nous broyer par la beauté et la tristesse. Voilà un bail que notre petit cœur de doomster n'a pas autant palpité. Sauf qu'il faut bien l'avouer -le plus tôt sera le mieux- le projet une fois lancé, la déception est monumentale. Quelque part chez l'auditeur flotte l'impression de s'être fait avoir. Où est la symphonie ? Où est l'orchestre ? La Grandeur ? Où, où, où ? Seule la soprano, invitée surprise, se fait entendre en piaillant à intervalles irréguliers. Flûte. Que puis-je donc faire de tout ça? Au début, je pleure. Puis je persévère, chose qu'en tant qu'amateur de musique lente, je sais faire.
En guise d'orchestre, il faudra ici se contenter d'un modeste clavier pouet-pouet qui, assurant strictement toutes les parties, reproduit tout ce qui nous a été promis, la puissance et le grandiose en moins. Pour une désillusion... Heureusement, les écoutes répétées parviennent à éloigner peu à peu le spectre de la déception pour enfin laisser apparaître l'œuvre telle qu'elle est : belle. En se concentrant un minimum, le connaisseur reconnaîtra sans mal et avec le plus grand plaisir les mélodies issues des différents albums du groupe, de "She Is The Dark" à "My Body, A Funeral" en passant par "My Wine In Silence" ou encore "A Kiss To Remember". Ces nouveaux arrangements permettent de confirmer -si besoin en était- que ces mélodies sont belles à en mourir, qu'importe le contexte. Et tout compte fait, elle ne chante pas si mal, cette soprano. Sa voix claire et intrigante se mêle tragiquement avec le parlé doucereux du maitre Aaron qui, ici, ne chante pas et grogne encore moins. Il parle. Il déclame sa tirade, il récite une poésie. Une poésie inédite dont les textes sont, comme de coutume, particulièrement soignés.
Ces deux disques (trois pour la version deluxe) évoquent tour à tour le My Dying Bride classique, forcément, mais aussi des œuvres plus ambiantes comme Dark Sanctuary ou, plus étonnant, Tangerine Dream (si si, écoutez donc le final de "The Distance, Busy With Shadows", on y-est, non?). Le résultat final, difficile à appréhender, se dévoile alors : planant, étrange et extrêmement beau. Impalpable, la musique est spectrale et il est totalement impossible d'extraire une piste particulière de cette heure et demie de musique tant le tout forme un ensemble cohérent et mélancolique. Tout s'assemble pour donner vie à une fresque qui, pour être globalement empreinte d'une indicible tristesse, n'en est pas moins éclairée d'une certaine forme de luminosité. Evinta est la sensation de calme et de relâchement après qu'une inévitable catastrophe se soit finalement produite. Seul le dernier morceau, "An Hand of Awful Rewards" sort du lot en se dévoilant très vaporeux, quasiment drone. Une fois la musique éteinte, quelques mélodies resteront gravées en tête. Le reste s'évapore, disparaît. On ressort de l'écoute différent, purifié, la catharsis n'ayant jamais aussi bien fonctionné. Un autre monde s'est ouvert, est passé, s'est envolé.
J'ai longtemps hésité avant d'avoir un avis sur cette œuvre tant celle-ci ne peut emporter qu'une forte adhésion ou, au contraire, un strict rejet. Certains jours, cette musique me semblait être une vaste fumisterie. Un projet ridicule et mal ficelé. D'autres jours, au contraire, j'avais l'impression d'être face à un aboutissement. C'est ce dernier sentiment qui l'emporte finalement. Et j'hésite encore un peu avant d'attribuer ma note, qui me semble bien dérisoire, mais je m'y résigne finalement, ne serait-ce que pour saluer la démarche d'un groupe artistiquement libre et, sur cet opus, d'une sincérité méritant d'être récompensée. Sans être parfait, ce projet n'en est pas moins une franche réussite.