Possédés du monde entier, venez vous régalez! Vous, les damnés de l’enfer, cette musique a été composée pour vous! O Death, et cætera. Le diable s’est incarné dans votre corps? Opeth aussi. Vous parlez des langues mortes? Opeth aussi. Vous aimez la musique rock? Opeth aussi. Fuyez, suppôts du Seigneur, car voici un disque malin! Passez cette introduction remplie d’humour, parlons de musique. Disque inacceptable par nature et inaccessible par désir, il vous suffira de retourner le boîtier pour savoir de quoi je parle: cinq morceaux, une heure six de musique. Quoi? Oui, oui, plus d’une heure de musique condensée (maltraitée) dans cinq médiocres pistes. Soyons bien d’accord, si ceci est l’album le plus médiocre d’Opeth au niveau pondage de morceaux, ce n’est certainement pas le moins bon. Et après tout, les petits gars Åkerfeldt et Lindgren (qui composent tout, ici) n’ont jamais brillé pour leurs refrains entêtants et leurs morceaux de trois minutes trente. Cet album en est la preuve.
Bilan: trois morceaux de dix minutes, un de quatorze, et un de vingt. On fait pas dans la dentelle, chez Opeth! Rien que pour ça, cet album est spécial. D’ailleurs nous avons affaire à un groupe spécial. Autre atypisme: ce disque offre probablement les ruptures les plus senties de tous les morceaux du band. Sur leurs autres enregistrements, Opeth avait au moins la décence de nous ménager, de nous faire de jolis périodes d’alternance qu’on entendait arriver. Ici ils passent de la distorsion à l’acoustique sans prévenir, avec une brutalité effarante. Le morceau d’ouverture, "Advent", en est un excellent exemple: des parties ultra-rapides déchaînées où les instruments s’entremêlent à la perfection jusqu’au séisme, qui débouche en l’espace d’une demi-seconde à une période lente et sombre, les guitares passant de la distorsion à la sècheresse, la voix d’Åkerfeldt du hurlement à la douceur.
En parlant de voix, c’est le principal défaut qu’on pourrait noter. Pas encore tout à fait doué en growl, Åkerfeldt est ici plus saisissant sur les parties de chant clair. C’est bien pour pinailler car peu d’autres chanteurs seraient capables ne serait-ce que de passer de l’une à l’autre, alors exécuter les deux avec autant de classe, c’est plus qu’on en demande. Rien à dire en ce qui concerne les autres instruments, les guitares sont magnifiques autant en acoustique qu’en électrique, c’est toujours un plaisir d’entendre les riffs en disto’ recyclés en acoustique, et le contraire. La basse est plus que présente, et s’offre même quelques envolées terminales, surplombant carrément les guitares l’espace de quelques secondes. La batterie est elle aussi excellente, très en place, même si certaines parties manquent légèrement de punch, voire sont un peu à côté de la plaque (ça reste rarissime, je vous rassure).
Sur ce disque, toutes les compositions semblent être une variation sur l’automne. Le mot revient plusieurs fois dans les paroles, d’ailleurs. Un disque ambivalent, comme toujours chez Opeth. D’un côté « Autumn », la chute. De l’autre « Morningrise », le levé. Les pistes contribuent à cette contradiction. Ne parlons même pas d’équilibre précaire, rien ne marche, tout s’oppose, et c’est ça qui fait la force de ces pistes ! Seul "Nectar" est un peu en dessous du lot, et encore seulement par moments. Le début étant génial, le final est lui carrément jouissif. La bête de vingt minutes, "Black Rose Immortal" est un des morceaux les plus tranchés d’Opeth. Tiraillé constamment entre les deux tendances du groupe, les fractures sont tellement nombreuses qu’il n’arrive pas à être lassant! Soyons fou : quitte à faire une piste de cette longueur, autant y caser des tonnes d’idées plutôt qu’une inspiration majeur. Et ils réussissent... Ce titre offre d’ailleurs une très bonne idée développée à plusieurs endroits du skeud: les mélodies celtiques ! Que ce soit en guitare électrique ou acoustique, de foisonnantes influences gaéliques et nordiques viennent truffer "Black Rose Immortal", mais aussi "Advent" et "The Night & the Silent Water".
Pour parler de cette dernière, d’ailleurs, elle nous offre le point d’orgue de ce disque: après une sublime interprétation de guitare sèche gorgée de folklore, le versant électrique déverse la traduction musicale de l’oppression, avant d’entamer le final démentiel : « You sleep in the light… Yet, the night… And the silent water… Still so daaark… » qui marque le climax du disque. Un orgasme peut-être un peu précoce, mais qui n’arrivera pourtant pas à rendre la suite banale en comparaison. Opeth c’est comme une femme, tu n’arrives jamais à comprendre pourquoi, mais elle arrive toujours à te surprendre! Tu risques d’être aussi surpris quand tu croiseras la piste de clôture: "To Bid You Farewell", longue ballade comportant très peu de paroles, portée par les guitares et la basse. Celle-ci se taille la part du lion dans ce morceau. Quoique légèrement « étouffée » et ne bénéficiant pas d’un son optimum, c’est tellement rare d’entendre aussi clairement la basse sur un morceau! Très bien composée, flirtant doucement sur de superbes harmonies, on a peut-être affaire à la plus belle ballade du groupe.
Ce morceau constate une évidence: l’album est avant tout centré sur le travail des trois guitares, que ce soit en twin pour les électriques, en rythmique pour les acoustiques ou en semi-mélodique pour la basse, tout résonne parfaitement, l’harmonie entre les instruments est totale. Si les prestations ne sont pas encore virtuoses, ce n’est nullement un problème: ce qu’ils n’ont pas en technique brute, ils le gagnent en empathie, et au double de ça même! La qualité des compositions est immense, tout est ambitieux sans être prétentieux... On en prend jamais plein la figure inutilement. Inaccessible, cet album? Peut-être... Dommage pour ceux qui n’en profiteront pas!