Heritage : arrogance ou intégrité ? Pale Communion : mépris ou authenticité ? Sorceress : suffisance ou pureté ? Et de un, et de deux, ... et de trois. Trois albums qu'Opeth envoie valser sa fan-base consolidée au bout de 20 années de magie et d'émotions. 20 ans pour s'attacher à un groupe hors du commun, fascinant à plus d'un titre et marqueur de toute une génération. Trois albums pour repartir à zéro. Car aujourd'hui, le doute n'est plus permis, Opeth est un nouveau groupe.
Un nouveau groupe avec tout ce qui s'y accompagne de bon et de mauvais. Une formation désormais imprévisible, et qu'on se plaira plus que jamais sur Sorceress à essayer de cerner. Et pourtant qu'il serait facile de dire qu'Opeth ne se sera jamais autant répété qu'en trois albums. En s'engageant dans la brèche du « 70's worship », les Suédois s'expose à souffrir d'une double comparaison. Avec les pontes du genre d'une part et la horde de formations actuelles surfant sur le même créneau d'autre part. Mais avant toute chose, la bande à Åkerfeldt part avec un solide gallon d'avance grâce à sa production. Après avoir renoué avec son pote Steven Wilson pendant les 2 précédents albums, Mikael a cette fois-ci décidé de changer sa recette pour un résultat tout aussi satisfaisant avec Tom Dalgety (Pixies, Ghost, Royal Blood) aux commandes. Forcément le son est plus compressé, mais reste à des dynamiques honorables tout en bénéficiant d'un peu plus de punch. On pourra tiquer sur le son de caisse claire un peu trop écrasé, il n'en demeure pas moins que le reste est grandiose et sonne authentique. Le clavier en particulier est plus que jamais à l'honneur sur ce nouvel opus, la guitare acoustique également en témoignent l'intro et outro "Persefone", le ventre calme de l'album "Sorceress 2" / "The Seventh Sojourn" et la ballade-tube "Will O the Wisp", peut-être le nouveau "Harvest" du groupe ?
Sorceress est sans aucun doute l'album qui tente d'être le plus cohérent de ces dernières sorties d'Opeth, présentant des compositions certes variées mais avec une ambiance qu'on saura vite retenir au bout de quelques écoutes. Fini l'impression de patchwork (quoique les premières écoutes peuvent être trompeuses), on a pour la première fois depuis Watershed un album qu'on peut appréhender comme une entité indivisible. Et pour cause, on peut y retrouver de-ci de-là une mélancolie finalement très proche de celle de Watershed justement - tous les éléments metal mis de côté bien entendu - et telle qu'elle transparaissait à nouveau sur quelques pistes de Pale Communion. "Persefone" fait écho d'une certaine façon à "Coil", le pont de "The Wild Flowers" aurait pu figurer aux côtés de "Hex Omega" tandis que "Will O the Wisp" est calquée sur "Burden". Ajouté à cela un côté très Steven Wilson sur quelques développements (le début de "Strange Brew"" fait penser à Grace for Drowning), on constate avec amusement que les deux leaders continuent encore et toujours de s'auto-influencer. Par ailleurs, Mikael Åkerfeldt persévère à privilégier les tonalités majeures à chaque fois qu'il peut, donnant une couleur à sa musique qui n'a absolument plus rien à voir avec les débuts dépressifs du groupe. Aidé par la production chaleureuse, avec une caisse claire grasse et une basse boomy et groovy ("The Wild Flowers"), on est bien loin de Orchid et Morningrise...
Et finalement, et si ce n'était pas cela le vrai problème ? Et si Opeth ne s'appelait plus Opeth, tout le monde ne serait-il pas content ? Car prenons le single "Sorceress", qui s'ouvre emmené par une mélodie vaporeuse de clavier et porté une cette basse frémissante, avant que ne rugisse ce riff simpliste et pourtant si lourd. "Bury Me in Smoke" de Down n’est pas loin, et sur les parties vocales, on peut penser à Alice in Chains lorsque Mike tire sur sa voix. Un très bon single, dont la qualité n'a malheureusement rien à voir avec un "Bleak" par exemple, mais dont on ne peut que saluer la solide composition et qui redonne vraiment le sourire. Globalement plus lourd que ses deux prédécesseurs, Sorceress va même jusqu'à flirter avec le metal sur "Chrysalis", bien que la distorsion laisse ici sa place à un gros overdrive. Mais la partie la plus intéressante de la galette est plutôt à chercher en plein milieu, avec l'enchaînement de deux chansons folk quasi-instrumentales : tout d’abord "Sorceress 2" et son thème d'une infinie mélancolie, puis "The Seventh Sejourn" orientalisante à n'en plus pouvoir mais travaillée d’une main d’orfèvre. C'est beau et ça fonctionne. Malheureusement la fin de l’album est moins marquante : "A Fleeting Glance" tout d’abord avec une mélodie naïve qui sent bon Queen ou Genesis, et surtout "Era" où on peut penser à une blague de mauvais goût de prime abord.
Opeth renoue avec la qualité et la cohérence sur ce Sorceress, tout en entérinant sa nouvelle direction artistique. Toujours pas de growls à l'horizon, toujours pas de metal non plus : si c'est ce que vous cherchez, passez votre chemin. Le nom d'Opeth n'a vraiment plus de sens que de part ses membres et l'aura médiatico-commerciale qui y est liée. S'il existait un tas de groupes actuels capable de pondre des compositions aussi fraîches et intéressantes que "Strange Brew" dans le registre rock « seventies revival », cet opus pourrait passer inaperçu... Mais c'est loin d'être le cas, alors ne boudons pas notre plaisir !