Iced Earth -
Framing Armageddon (Something Wicked Part 1)
Dire de cet album d'Iced Earth qu'il était attendu relève d'un doux euphémisme. On avait en effet laissé le groupe sur un The Glorious Burden assez plaisant mais qui n'avait pas tout à fait dissipé les doutes quant au recrutement de Tim Owens au chant. De plus, les problèmes de santé récurrents de Jon Schaffer n'avaient pas permis de défendre l'album sur scène. L'avenir d'Iced Earth s'annonçait donc assez indécis lorsque Schaffer ranima la flamme en annonçant un album en 2 volets censé développer le concept décliné sur la trilogie "Something Wicked" sur l'album du même nom, point d'orgue de la carrière du groupe. Pari éminemment casse-gueule, mais on sait bien que Schaffer, avec son caractère bien trempé, n'est pas du genre à se laisser impressionner par ce genre de défi…
L'histoire en elle-même était effectivement bien assez forte pour mériter un développement plus approfondi. L'album narre donc la colonisation de la planète par les Humains au détriment des Setians, et la prophétie annonçant la vengeance de ces derniers menée par l'Elu, après qu'une poignée d'entre eux aient survécu dissimulés sous une apparence humaine pendant 12 000 ans. Sur la forme, inhabituelle pour Iced Earth avec ses 19 titres dont une intro, une outro et plusieurs interludes, Framing Armageddon n'est pas sans rappeler un certain Nightfall in Middle Earth de Blind Guardian. L'intro en elle-même est déjà assez surprenante : Schaffer a toujours été considéré en quelque sorte comme un gardien du temple du heavy traditionnel, même si la présence de l'orchestre symphonique de Prague sur la trilogie "Gettysburg" avait marqué une certaine inflexion. Mais avec ces percussions arabes et cette mélodie jouée au violoncelle, "Overture" nous montre Iced Earth sous un jour nouveau.
C'est avec "Something Wicked Part 1" qu'on entre vraiment dans le vif du sujet. C'est aussi sur ce titre qu'on retrouve la référence la plus explicite à la trilogie fondatrice puisque la première minute reprend, avec des arrangements différents, le thème et surtout les paroles de "Prophecy". Le reste du titre est à l'image de Framing Armageddon : une œuvre complètement originale, ce qui empêchera les grincheux de reprocher à Schaffer de capitaliser sur le passé du groupe. D'emblée, on remarque le gros travail sur les chœurs, l'un des atouts principaux de l'album, dans la continuité de qui avait été entrepris sur "Gettysburg". Habile entrelacement de multiples pistes vocales, ces derniers revêtent un caractère emphatique et grandiloquent sans jamais tomber dans le pompeux, excès classique dans ce genre de cas. Le résultat sur des titres comme "Order of the Rose" ou "The Domino Decree" est proprement hallucinant, et nul doute que reproduire cela en live sera un véritable casse-tête. Quant à "When Stars Collide", son interprétation sur un mode uniquement choral subjugue des mélodies déjà très sombres et lui confère une dimension dramatique rarement atteinte.
Ce travail collectif est parfaitement mis en valeur par Tim Owens, qui livre une performance mémorable. Ceux qui lui ont reproché son incapacité à intégrer de l'émotion dans son chant devront probablement revoir leur jugement à l'écoute de "The Clouding", un des temps forts de Framing Armageddon. Cette pièce, la plus longue de l'album avec plus de 9 minutes au compteur, commence comme une douce ballade atmosphérique où les inspirations floydiennes de Schaffer trouvent leur parfait contrepoint dans le chant mélancolique d'Owens, avant une accélération heavy 100% Iced Earth et surtout un dernier refrain où Owens se lâche pour un résultat fabuleux. De même, si sa performance sur les titres agressifs de The Glorious Burden était assez mitigée, il n'y a cette fois plus lieu d'émettre de telles observations. Pour s'en convaincre, il suffit d'écouter "Framing Armageddon" où le chanteur donne véritablement tout ce qu'il a, notamment sur des screamings finaux à couper le souffle.
Ce titre est emblématique de l'autre nouvelle qui ravira les puristes : Schaffer a enfin retrouvé la formule pour proposer des rythmiques tranchantes dont il a le secret. Les exemples ne manquent pas, à commencer par "Setian Massacre" ou "Ten Thouand Strong", même si la plupart du temps, ces rythmiques sont couplées à des refrains plus mélodiques, comme "Retribution Through the Ages", sorte de synthèse de ce qui fait l'identité d'Iced Earth aujourd'hui. Le seul petit regret, c'est de voir que l'album est tellement centré sur son concept que la majorité des titres, assez courts, ne laissent pas vraiment de place aux soli interprétés dans leur grande majorité par Troy Seele. Dommage, car le bonhomme, crédité seulement en tant que guest, parvient à distiller des petits bijoux pas seulement centrés sur la technique, mais qui laissent la part belle au feeling.
Avec Framing Armageddon, Schaffer a composé un grand, un très grand album de heavy metal qui regroupe toutes les facettes de ce qui fait la force d'Iced Earth. En exploitant l'énorme potentiel de Tim Owens, cet opus devrait contribuer à tourner une bonne fois pour toute la page Barlow, 4 ans après le départ de ce dernier. Peut-on oser avancer qu'il s'agit là du meilleur album de la féconde discographie d'Iced Earth ? Si la réponse est loin d'être évidente, la question se pose, et même s'impose naturellement. Alors chapeau M. Schaffer, et croisons maintenant les doigts pour que le deuxième volet soit au moins aussi réussi que ce Framing Armageddon.