Les Américains emmenés par Jon Schaffer débarquent en 1996 avec un disque plus fondamentalement sombre et plus direct qu'à l'accoutumée. The Dark Saga est un concept-album fondé sur l'histoire du personnage de bande dessinée Spawn, dont Jon est fan, et raconte la triste vie d'un homme déchiré, qui vend son âme au diable afin de retrouver sa bien-aimée, pour finalement s'apercevoir que celle-ci l'a oublié et a refait sa vie avec son ancien meilleur ami; ce qui le pousse à sombrer peu à peu au mal.
Une progression sensible s'opère au fil du disque, mais malheureusement un amas de compositions irrégulières, peut-être trop atypiques, mais en tout cas bien peu inspirées, vient ruiner un tableau qui semblait idéal. "Dark Saga" en ouverture alterne efficacement des riffs bourrins, presque thrash, et parties calmes où Matthew Barlow se laisse aller à un chant empreint d'émotion. Directement suivi par une ballade "I Died For You", qui arrive un peu tôt, où le vocaliste confirme malgré tout les progrès étonnants qu'il a accomplis depuis Burnt Offerings; son timbre est curieusement proche de celui d'un Paul Stanley (Kiss), mais reste metal et cela sied à ravir à cette chanson pas franchement technique. Cependant, l'auditeur ne sera pas épargné sur The Dark Saga des gémissements insupportables de Matthew, lors de breaks sombres et ambiants, alors qu'il cherche certainement à se créer un style original, tout simplement ("Depths Of Hell", "Vengeance Is Mine"). C'est plutôt raté.
"Violate", de son côté, n'est qu'agression, une réminiscence thrash des débuts du groupe, aux riffs bourrins vraiment proches de ceux de la scène Bay Area. Le refrain est l'occasion pour Barlow de s'énerver un peu et de beugler d'une voix caverneuse; est-ce bien pertinent? Le style Iced Earth se construit de la même façon que la voix de Matthew évolue: à tatons. Avec ce "Violate", ou des titres comme "Vengeance Is Mine", le groupe a du mal à se démarquer des combos lambda de jeunes énervés tout contents d'entendre un son de gratte saturée. Heureusement, Jon Schaffer a gardé cette capacité à trouver le riff qui fait mouche ("The Hunter", "Slave To The Dark"), et relève quelque peu le niveau. Certes, "The Hunter" n'est pas exactement le summum de la créativité mélodique, mais il déploie une énergie très communicative qu'on ne peut qu'apprécier.
Comme d'habitude, l'album se conclut par une trilogie. "Scarred" ralentit le tempo est implique l'auditeur dans une atmosphère oppressante, alors que "Slave To The Dark" vient avec son refrain à reprendre en choeur et ses leads mélodiques le remuer un peu. Deux morceaux plutôt bons, surout le deuxième, qui annoncent ce qui est sans aucun doute la plus belle composition du groupe à ce jour, à savoir la power-ballade "A Question Of Heaven". Quelle beauté que cette chanson, avec son introduction en arpèges, ses choeurs féminins, son break à la guitare acoustique, et surtout son final apocalyptique, où Matthew lâche enfin ce qui le ronge de l'intérieur depuis le début... Le talent de composition de Jon Schaffer à son apogée. Cette conclusion magnifique, pleine de feeling, remonte le niveau de l'ensemble du disque, qui prend du coup une saveur particulière.
Au final, une galette irrégulière, où le sublime côtoie le médiocre, un album de transition entre l'ancien et le nouveau Iced Earth; Iced Earth qui va deux ans plus tard avec Something Wicked This Way Comes devenir un acteur majeur de la scène heavy-metal internationale. Disons que le potentiel du groupe n'est pas exploité à sa juste valeur sur cet album.