Avant cet album, on avait l'impression que Iced Earth était atteint du syndrome du tennisman français : n°1 chez les juniors, mais victime d'une certaine inconstance qui l'empêche de s'imposer au plus haut niveau. On commençait même à douter de le voir un jour confirmer les espoirs placés en lui suite à des débuts tonitruants, notamment Night Of The Stormrider. Réponse cinglante de Schaffer : Something Wicked This Way Comes, un album irréprochable de bout en bout.
L'aspect le plus impressionnant de cet album, sans aucun doute, c'est l'extrême variété de son propos. C'est bien simple, tout y passe : mid tempo tantôt agressifs ("Burning Times"), tantôt émouvants ("Melancholy", "Watching Over Me", écrite à la mémoire du meilleur ami de Schaffer, décédé dans un accident de moto), speederies à la limite du thrash ("Disciples Of The Lie", "Stand Alone"), ballade acoustique ("Consequences"), intermède intrumental ("1776")… sans oublier bien sûr la patte Schaffer, ces rythmiques acérées comme nul autre ne sait faire ("My Own Savior"). Toute la palette du heavy metal est passée en revue. Schaffer prend même un malin plaisir à mélanger les genres, à l'instar de "Reaping Stone" qui commence lentement à la Accept avant de proposer un break bien speed assez inattendu. Et le plus fort dans tout ça, c'est qu'Iced Earth parvient à maintenir un standard de qualité très élevé malgré la variété des styles abordés. Allez, je vous l'accorde, seule la ballade "Blessed Are You" se situe un cran en-dessous, la faute à un chant un peu trop larmoyant de Barlow. Mais c'est bien là la seule concession que je ferai, alors n'insistez pas !
Et puis Something Wicked This Way Comes, c'est aussi et surtout la trilogie finale du même nom, qui demeure encore à ce jour un des sommets artistiques de la carrière d'Iced Earth. Il s'agit d'une création originale d'une vingtaine de minutes, clairement identifiée au sein de l'album. Schaffer nous conte une histoire de science fiction dans laquelle les Humains viendraient coloniser la planète Terre au détriment de ses habitants originels, les Setians, lesquels s'en remettraient à une prophétie prédisant la destruction de la race humaine menée par l'Élu. Le concept est encore peuplé de nombreuses zones d'ombre (à commencer par la narration), que Schaffer explicitera une bonne dizaine d'années plus tard, avec le diptyque Framing Armageddon / Revelation Abomination. Mais au-delà de l'histoire, c'est également au niveau musical que cette œuvre est devenue une référence. Le premier mouvement "Prophecy" est tout simplement l'un des meilleurs morceaux de la discographie d'Iced Earth : après une longue intro magnifiée par l'interprétation à fleur de peau de Barlow, celui-ci se fait tour à tour menaçant puis carrément vindicatif, après une longue plage musicale aussi tranchante que mélodique. Et si "Birth of The Wicked" est une compo un peu plus passe-partout, "The Coming Curse" tutoie à nouveau les sommets. La longue intro au piano instaure une ambiance assez lugubre, avant une explosion de violence en rapport avec le texte, symbolisée par un déchaînement de double pédale sur le refrain, procédé pas si fréquent chez Iced Earth. Quant au long break ambiant, il n'est pas sans rappeler "Seventh Son Of A Seventh Son" d'Iron Maiden. Une sacrée filiation !
À une époque où le heavy metal traditionnel manquait singulièrement de leaders et d'albums marquants, Something Wicked This Way Comes tombait à point nommé. Il a ainsi contribué à faire entrer définitivement Iced Earth dans la cour des grands noms du heavy metal, tout en se hissant parmi les meilleurs albums du genre de toute la décennie. Admission confirmée avec les félicitations du jury grâce au mythique triple album live Alive in Athens, capté sur la tournée de l'année suivante. Si vous ne le (les) possédez pas encore, vous savez ce qu'il vous reste à faire !