En 1993, et depuis quelques années déjà, les petits gars d’Anthrax sont en pleine reconversion. Grisés par le succès de Spreading The Disease et d’Among The Living, nos moshers favoris ont cherché à se renouveler en explorant, avec Persistence Of Time notamment, les voies du thrash dit « sérieux », mais sans réussir à persuader les fans. Pour Anthrax, qui réalise bien que ses collègues de la côte ouest, Megadeth et Metallica, ont mieux négocié le virage des années 90, Sound Of White Noise doit être le synonyme d’un véritable retour en force. Pas facile à faire, quand on réalise l’impact qu’ont eu le Black Album et Countdown To Extinction (dans une moindre mesure, quand même) dans l’esprit des thrasheux de tout poil. Et pourtant, les new-yorkais y arriveront haut la main. Le secret?
Le secret d’un tel changement, c’est John Bush qui l’incarne. L’ex-Armored Saint, formidable chanteur, débarque dans le gang en poussant Belladona vers la sortie, et s’attache très vite à remettre les choses en ordre. Le speed/thrash des débuts ne faisant plus recette, le groupe passe à une formule plus heavy (comprenez, plus lente), plus variée, et plus aérée… Une nouvelle donne qui permet de prendre toute la mesure des capacités vocales de John Bush. Son chant, puissant et modulable, sans jamais être trop agressif, se marie parfaitement au savoir-faire du taulier, Scott Ian, en matière de riffs bien trempés. Il suffit de jeter une oreille sur l’un des nombreux classiques qui parsèment l’album pour s’en rendre compte. Au hasard, "Only", et son refrain porté à bout de bras par les deux hommes. Voilà un titre qui a traversé les années sans prendre une ride, demeurant depuis tout ce temps à jamais riveté aux setlists du groupe en live.
Cet album est du coup bien plus qu’un simple retour gagnant. Il jette les bases de l’Anthrax que nous connaissons aujourd’hui, celui des titres certes punchy et métalliques, mais dotés de refrains facilement mémorisables, et pour la plupart au rendu plus mainstream que ceux des eighties. Franchement, des titres comme "Room For One More" ou "Packaged Rebellion", deux autres gros tubes, pourraient très bien figurer sur le "We’ve Come For You All" sorti tout juste dix ans après, en 2003, sans que ça choque grand monde. Cela dit, avant d’aller crier à la révolution, notez qu’Anthrax ne rechigne par pour autant à user de l’énergie (et des riffs) plus primaire, plus thrash quoi, qui le caractérisait la décennie précédente. J’en veux pour preuve l’intro, "Potter’s Field", et d’autres titres comme "Invisible", ou "Burst" (surtout "Burst"!). Mais bon, à vouloir sonner plus cru, on perd de la saveur, vous ne croyez pas? Ces morceaux là, ce n’est pas ce que je préfère en tout cas, mais bon, c’est un avis perso.
Les amateurs de power ballads, ils sont nombreux j’en suis sûr, ne manqueront pas de s’intéresser à "Black Lodge", assez convaincante avec son John Bush tout mélancolique. Les amateurs de chimie préféreront headbanguer sur l’imprononçable "C11 H17 N2 O2 S Na". Si, parmi vous lecteurs, il y avait des gens capables de m’indiquer ce que c’est que cette molécule, ne manquez pas de me contacter, je vous revaudrais ça. Un rapide coup d’œil aux lyrics me laisse penser que c’est une substance, hmmm, que nous qualifierons d’illicite, mais je préfère en être sûr, histoire de pouvoir m’illustrer en soirée. Mais trêve de plaisanterie, concluons en beauté en criant haut et fort que Sound Of White Noise est une sacrée réussite, si toutefois vous en doutiez encore. Plein de fraîcheur et de patate, bénéficiant d’une production efficace et d’une quantité raisonnable de classiques, cet album est satisfaisant sur bien des points, et vous le dévorerez d’une traite, j’en suis sûr. En gros, c’est ce qu’on pourrait appeler une pièce maîtresse, dans le jargon très réservé des artistes. A ranger entre Among The Living et We’ve Come For You All, sur votre plus belle étagère.