Anthrax, ou comment ruiner sa propre réputation en moins de deux. Fini le groupe fun et festif des années 80, terminé le groupe en galère permanente dont on avait sincèrement pitié dans les années 90, envolé le groupe dont on avait admiré la formidable résurrection à l'aube des années 2000 : avec leur gestion pour le moins lamentable du poste de chanteur, où ils ont agi comme des faux culs doublés d'eunuques, Benante et Ian ont rejoint les Schaffer, Malmsteen et autres Mustaine parmi les rangs des musiciens dont on admire le talent mais dont on méprise l'homme. Seul moyen pour eux de faire diversion et éviter le lynchage attendu : sortir un grand album…
On ne va pas revenir sur l'affront à John Bush, dont les 13 ans d'ancienneté n'ont pas pesé lourd face à la possibilité de faire une lucrative tournée de reformation du line up de l'âge d'or, ni sur la véritable humiliation infligée à Dan Nelson, acclamé comme le messie puis lourdé par voie de presse sous un prétexte bidon. Belladonna is back, c'est ainsi et cela aura au moins eu le mérite d'alimenter les forums en mal de discussions houleuses. Entre ceux pour qui Belladonna demeure le chanteur historique et qui estiment que les années Bush n'ont rien apporté puisque le groupe n'a jamais cessé de privilégier le vieux répertoire, et ceux qui ne supportent absolument pas la voix de Belladonna et qui trouvent que Bush a apporté un second souffle à Anthrax en amenant un surcroît de patate et des prestations live de meilleure qualité, cela a toujours été la foire d'empoigne. On a rarement vu une telle animosité entre deux catégories de fans, y compris dans d'autres groupes ayant connu deux périodes distinctes suite à un changement de chanteur : vous trouverez peu de fans de Kiske affirmer qu'Andi Deris n'a rien apporté (en bien… et surtout en mal) à Helloween, de même qu'il existe peu de fans de Van Halen période Sammy Hagar qui font un blocage complet sur la voix de David Lee Roth (de toute façon, il existe peu de fans de la période Sammy Hagar tout court !).
Donc voilà, le retour de Belladonna promettait des débats à n'en plus finir… sauf que ce bon vieux Joey vient peut-être bien de mettre tout le monde d'accord en signant une excellente performance. On le pensait cantonné au registre 80's avec sa voix aiguë un peu fluette, qu'on voyait mal s'accommoder avec le répertoire actuel d'Anthrax. L'album étant déjà composé dans les grandes lignes, on savait bien que les New Yorkais n'allaient pas chercher à revenir en arrière, mais au contraire à peaufiner le style pratiqué avec maestria sur We've Come For You All (et sur Volume 8, avec beaucoup moins de maestria !). Belladonna s'y est adapté à la perfection, comme sur "The Constant", un titre de power groovy typique des années Bush où il tient parfaitement la baraque. Bien sûr, on n'empêchera pas les inconditionnels de John Bush de penser que leur champion aurait fait mieux sur les morceaux les plus musclés de l'album comme "Earth On Hell", "The Giant" ou "Revolution Screams", mais cela ne signifie pas pour autant que Belladonna est à la rue sur ces titres. Par ailleurs, on le sent supérieur à Bush sur des titres de heavy un peu plus cool comme "The Devil You Know", et surtout sur la perle "I'm Alive" : sur ce magnifique refrain mélodique, qui vous prend la tête pour ne plus la lâcher, son chant tout en douceur s'avère plus approprié que celui de Bush, plus teigneux.
Maintenant, si Worship Music est une telle réussite, ce n'est pas du seul fait de la présence de Belladonna. Derrière, les gars ont assuré un max, en tirant les leçons des gargantuesques Volume 8 (quelques tueries et beaucoup de daubes) et We've Come For You All (beaucoup de tueries et quelques daubes) : toujours autant de variété et de maîtrise dans les différents registres abordés, mais dans un menu resserré. 13 pistes certes (+ une reprise cachée, pour ceux que ça éclat d'appuyer sur la touche avance rapide pendant 2 minutes), mais dont une intro et deux interludes, soit au final « seulement » 10 nouveaux titres… et rien à jeter. Allez, on concèdera du bout des lèvres que "Judas Priest" ne tient pas vraiment les promesses de son irrésistible riff sec et nerveux. Mais à part ça, rien à dire : le croisement entre thrash light et heavy ("Fight'em Till You Can't", "The Giant", "The Constant") fonctionne parfaitement, les morceaux plus mélodiques aussi ("The Devil You Know, le fabuleux – ah bon je vous l'ai déjà dit ? – "I'm Alive"). Rayon curiosités, l'impeccable "Crawl" qui voit Anthrax fricoter avec un registre rock alternatif, avec un chant à la Chris Cornell ; et puis "In The End", la grosse claque de ce nouvel album, un morceau en hommage à Dio à l'ambiance lourde et mélancolique avant de s'emballer sur le break, avec un solo de feu et un Belladonna éblouissant.
Alors là, coup de chapeau à Anthrax. Avec tout ce qui s'est passé sur le terrain extra-musical, nombreux sont ceux qui devaient guetter ce nouvel album avec le fusil sous le lit, histoire de se faire un plaisir de se payer la tronche du tandem Ian / Benante. Mais voilà, les New Yorkais viennent de frapper un grand coup avec Worship Music, sorte de We've Come For You All bis (jusque dans la pochette aux allures de clin d'œil) porté à un niveau encore supérieur. Et si en fin de compte, Anthrax était le seul membre du Big 4 à avoir encore des choses à dire ?