Imaginons un peu l'existence d'un Metal Award du plus gros gadin entre 2 albums. Un favori logique s'impose : Helloween, pour avoir sorti Pink Bubbles Go Ape après Keeper Of The Seven Keys Part II. Il y aurait aussi de sérieux outsiders : Megadeth (Risk après Cryptic Writings), WASP (Still Not Black Enough après The Crimson Idol)… Mais une chose est sûre, Anthrax ferait bonne figure dans un tel classement. Parce que pondre State of Euphoria après l'impérial Among The Living, fallait oser…
Déjà, à peine les premières secondes écoulées, première douche froide : mais c'est quoi ce son ? Là où Spreading The Disease ou Among The Living sonnent encore tout à fait convenablement aujourd'hui, la prod' de State Of Euphoria a terriblement mal vieilli. Déjà, le volume sonore est étonnamment bas, il va donc vous falloir pousser les enceintes à fond si vous voulez entendre Joey Belladonna s'époumoner. Vous me direz « Hé, Kroboy, t'es gentil mais tu peux aussi bouger ton gros cul et monter un peu le volume ». C'est pas faux, mais ce n'est pas ça qui redonnera de la puissance aux guitares, qui manquent cruellement de relief sur cet album. Les bienheureux qui ont assisté au concert parisien au Trabendo en 2004 (au passage, quelle misère que de voir un groupe du calibre d'Anthrax en être rendu là) ont d'ailleurs dû être surpris par la patate de "Be All, End All", complètement métamorphosée avec un son plus décent. Par l'apport de John Bush aussi, mais j'arrête là, sinon je vais finir par m'énerver bêtement et mon médecin m'a dit que ce n'était pas bon pour mon ulcère…
Assez disserté sur la forme, passons au fond maintenant. Et là, ce n'est pas franchement brillant non plus. Pourtant, ça partait sur des bases élevées avec l'électrochoc "Be All, End All" d'entrée de jeu. Intro sombre au violoncelle (!), montée en puissance magistrale, super riff, super refrain, super solo (Dan Spitz est d'ailleurs plutôt en bonne forme sur la totalité de l'album) et final mémorable avec les « Oh oh oh » de Belladonna… Voilà le topo pour un titre qui aurait probablement pu décrocher sa place sur le mythique Among The Living. Malheureusement, c'est bien le seul dans ce cas-là, et le reste s'avère nettement moins folichon, excepté l'excellente reprise de "Antisocial" (Anthrax reprendra aussi "Les Sectes" sur Attack Of The Killer B's). S'appuyant sur une matière première de grande qualité, Anthrax applique sa patte crossover et amène le morceau à un autre niveau d'agressivité. Mais dès le deuxième titre "Out of Sight, Out of Mind", les limites de State Of Euphoria apparaissent au grand jour. Et attention, le cahier des doléances est chargé.
D'une part, les rythmiques sont extrêmement répétitives. Scott Ian a beau tricoter dans tous les sens, il peine à sortir du bon riff qui claque. Quant à Charlie Benante, on l'a déjà connu plus varié dans ses choix : il a en effet tendance à rester un peu trop bloqué sur le mode bastonnage sur la plupart des couplets ("Out of Sight, Out of Mind", "Make Me Laugh", "Who Cares Wins"). Voilà comment au final, les structures restent trop similaires d'un morceau à l'autre, ce à quoi Anthrax ne nous avait pas habitués jusque là. Autre point de friction : certaines lignes de chant assez osées et pas forcément du plus bel effet, Belladonna nous servant à plusieurs reprises des mélodies vocales peu concluantes ("Make Me Laugh", Now It's Dark"). Plus embêtant encore, cette sensation de longueur qu'on retrouve sur pas mal de titres. Sur Among The Living, Anthrax avait signé un pavé de 8 minutes parfaitement maîtrisé avec "A.D.I. / Horror Of It All". Ici, les morceaux ne durent généralement que 5 minutes 30 (avec un pic à 7:35 pour "Who Cares Wins") mais paraissent bien longs, faute d'idées pertinentes.
Faut-il pour autant jeter le bébé avec l'eau du bain ? Très honnêtement, on n'en est pas loin. La quasi-disparition du côté fun, qui était indéniablement le petit plus d'Anthrax, a fait beaucoup de mal à cet album. Le truc le plus fun de State Of Euphoria, c'est sans doute l'impayable photo centrale du livret (ah, le look 80's short/marcel !). Dommage, car dès que les New Yorkais retrouvent leur côté espiègle comme sur un "Now It's Dark" et son refrain enthousiaste dans la lignée de "N.F.L.", le niveau se redresse. On retiendra aussi l'étonnant "Finale", qui passe sans cesse du coq à l'âne, mais qui a au moins le mérite de voir débrancher le pilotage automatique et enfin varier un peu le propos. Pour le reste, disons qu'hormis quelques bonnes intros ("Make Me Laugh" ou "Who Cares Wins") et quelques plans sympa à droite à gauche, pas de quoi fouetter un chat. Le constat final est triste et sans appel : Anthrax ne s'est pas foulé et nous sert un album fade et sans inspiration, à des années-lumière de son auguste prédécesseur. Le début d'un long tunnel pour nos moshers préférés.
En dépit de son titre, c'est bel et bien dans un état de profond désarroi que nous plonge State Of Euphoria. Oui, je sais, cette vanne nullissime est à peine digne du service des sports de France Télévision, mais face à la déception provoquée par cet album, on se dit qu'il vaut mieux en rire (jaune) qu'en pleurer. Par la suite, les membres d'Anthrax avoueront à demi-mot avoir bâclé le boulot pour faire coïncider la sortie de l'album avec la tournée Monsters of Rock de 1988, en première partie d'Iron Maiden. On l'avait à peine remarqué…