Le Live à Moscou donnait des avis partagés : un groupe en pleine forme, avec un excellent nouveau chanteur, Bernie Shaw, faisant sans peine oublier John Sloman et Peter Goalby, mais aussi un nouveau claviériste, Phil Lanzon, qui ne peut s'empêcher de caser des synthés de partout. Pour ce premier album sous ce line-up, c'est la même chose : les années 80 ne sont pas encore terminées, oh que non ! Uriah Heep s'entête encore une fois dans la voie du hard FM, alors qu'Equator, l'album précédent, avait fait un bide ! Sauf que là, le contexte est différent, le Heep compte bien profiter de l'énorme succès qu'ils ont obtenu pendant leurs concerts en URSS, et le répandre, si possible, sur l'ensemble de la planète.
Raging Silence rassurera les fans car c'est un album plus ambitieux, plus technique et nettement plus sérieux qu'Equator ; il suffit juste de comparer les paroles entre les deux albums pour s'en rendre compte. Leur périple en URSS a visiblement influencé les thèmes abordés sur Raging Silence, en pleine guerre froide et juste avant la chute du mur de Berlin. De quoi faire oublier les paroles ridicules d'Equator ! Tout est devenu très sérieux, trop même ; la légèreté et l'aspect juvénile d'Equator en faisait tout son charme, c'était fun, entraînant, ça volait pas bien haut, certes, mais bon, je suis un des rares fans à préférer Equator à Raging Silence. On appréciera malgré tout la qualité de la production (bien qu'elle ait un peu vieilli) et le jeu inventif de Lee Kerslake, délaissant les rythmes simplistes propres aux années 80. Paroles et production travaillées, ambition et technique de retour chez le Heep, tout semble être mis en œuvre pour faire oublier le bide d'Equator.
Seulement voilà, à l'écoute de Raging Silence, on croit tenir un album de Foreigner entre les mains. Foreigner est un grand groupe mais ce n'est pas ce style de musique que l'on attend de la part d'Uriah Heep. Même le jeu de Mick Box se confondrait presque avec celui de Mick Jones. La présence de deux reprises ("Hold Your Head Up" et "When The War Is Over") ne fait que renforcer l'impression de tenir un disque impersonnel. La reprise d'Argent, "Hold Your Head Up" aurait pu être pas mal si elle n'avait pas été polluée par tous ces arrangements typiquement années 80, c'est pourquoi la version de Fish est bien meilleure. Tous ces choeurs, ces synthés atroces (même John Sinclair était plus discret sur le line-up avec Peter Goalby), les morceaux défilent... "Blood Red Roses", "Voice On My TV", "Lifeline"... rien à faire, c'est bien l'album le plus emmerdant du Heep ! Ne parlons pas de la ballade soupe "When The War Is Over", qui n'égale en rien un "Poor Little Rich Girl" ou "Lost One Love" sur Equator.
Il faut attendre désespérément que les guitares reviennent au premier plan et quand le miracle se produit, à plusieurs reprises, on se rend compte de l'incroyable force de ce nouveau line-up, de tout son potentiel : sur le très heavy "Rich Kid", jamais le Heep n'avait été aussi puissant ! Ne parlons pas de "Rough Justice", une excellente compo de pur hard rock sur laquelle la voix éraillée de Bernie Shaw fait des merveilles. Certains trouveront son chant trop typé « hard rock américain » mais il peut aussi s'adapter et chanter sans problème sur les classiques de l'ère Byron. "Bad Bad Man..." un titre rapide, qui aurait pu être entraînant si il n'avait pas été plombé par les claviers encore une fois, rendant difficile toute accroche. Sur l'intro de "Cry Freedom", le retour de l'orgue laisse espérer que l'on va pouvoir enfin se délecter d'une compo du Heep à l'ancienne... peine perdue ! Et "More Fool You", très pop et catchy, un des meilleurs titres, mais dont la version acoustique du Acoustically Driven, débarrassée de tous les artifices années 80, est bien meilleure. Pour voir Uriah Heep revenir vers quelque chose de plus rock et solide, avec davantage de compos dans la lignée de "Rich Kid" et "Rough Justice", plus d'orgue Hammond et moins de synthés, prière d'attendre l'album suivant, Different World.