Salisbury est le deuxième album d'Uriah Heep et le groupe commence sérieusement à affirmer sa personnalité. On ne pourra bientôt plus les comparer à Deep Purple, même si quelques similitudes restent présentes, pour les titres les plus heavy ("Bird Of Prey") et les plus rock ("Time To Live"). Uriah Heep se démarque de Deep Purple surtout par son approche mélodique et par ses fabuleuses harmonies vocales. Mélodie semble être le mot d'ordre de cas gars là de toute façon, et en cela Uriah Heep va représenter une influence considérable pour des combos aussi divers que Queen (pour les choeurs), King Diamond (les vocalises haut perché de David Byron sont un modèle pour notre héros maquillé) et bien sûr, tous les groupes de metal qui se sont orienté vers le progressif (Rush, Dream Theater).
La diversité est de mise sur Salisbury. L'album est parfaitement équilibré entre les titres doux d'un côté et heavy de l'autre. "The Park" ferait presque office de berceuse, ses mélodies et ses claviers sont sublimes. "Lady In Black" est l'hymne acoustique le plus populaire d'Uriah Heep, un succès à reprendre en concert pour les choeurs. "Bird Of Prey" est le morceau heavy d'ouverture, un classique terriblement efficace, mais on sent que David Byron manquait encore d'un peu d'assurance pour ses montées dans les aiguës. "High Priestess" est le second morceau heavy et je trouve sa mélodie bien plus belle que sur "Bird Of Prey". Quant à "Time To Live", c'est juste un bon morceau de rock, avec le traditionnel orgue Hammond mêlé aux riffs très simples comme Deep Purple était capable d'en faire à l'époque, rien d'exceptionnel.
Ce disque ne serait rien sans la fabuleuse pièce épique, expérimentale et progressive "Salisbury". D'une durée de seize minutes, elle en dit long sur l'inventivité dont faisait preuve le groupe à cette époque. "Salisbury" peut paraître un brin pompeux puisque ce morceau est davantage à ranger aux cotés du Concerto de Jon Lord dans Deep Purple ou des albums solos grandioses de Rick Wakeman, le claviériste de Yes. Une preuve s'il en est que toutes les audaces étaient permises à cette époque, le groupe n'avait pas encore la pression de rester collé à un style spécifique et immédiatement reconnaissable.
Au programme donc dans cette pièce, des cors et flûtes pour constituer un mini-orchestre, des montées en puissance régulières rondement menées par les guitares déjantées, une basse extrêmement mélodique, un David Byron magistral et un orgue Hammond qui, à aucun moment ne verse dans les traditionnels solos excessifs (il y a juste quelques passages jazzy bien puissants), ce qui aurait pu être le cas vu la durée du morceau. C'est bien une des qualités d'Uriah Heep, celle ne de ne pas souffrir du complexe du guitar-hero ou du musicien qui cherche à tout prix à se mettre en avant au détriment des autres. "Salisbury" est d'ailleurs assez instrumental, David Byron n'intervient qu'occasionnellement, mais alors quand il est là, attention, c'est la grande classe ! Des chansons comme celles-là, le groupe n'en fera pas deux ! Et il n'existe aucune autre chanson de ce style ayant été réalisé par des groupes de prog ; "Salisbury" est unique en son genre. La version remasterisée de l'album (celle de 2003, pas celle de 1996, Sanctuary étant les champions des remasterisations à répétition) contient d'ailleurs une version live at the BBC de "Salisbury".
Salisbury est historique à plus d'un titre puisque Uriah Heep est le premier groupe étiqueté heavy metal à avoir lancé le mélange heavy metal et rock progressif, ce qui sera repris plus tard et plus en profondeur par les Rush, Fates Warning et Dream Theater. Salisbury n'est peut-être pas le meilleur album d'Uriah Heep puisqu'il existe un petit fossé entre la pièce épique et les autres titres, plus conventionnels dans leur structure. Les musiciens étaient encore assez limités techniquement (Lee Kerslake et Gary Thain ne faisaient pas encore partie du groupe), ça manquait encore d'un peu de panache, le meilleur est à venir.