Après cinq albums studio, quoi de plus logique qu'un album live ? Unleashed In The East tombe pile poil en fin de décennie (1979) et permet donc de clôturer un chapitre. C'est un fait, l'âge d'or de Judas Priest se situe dans les années 80, pas dans les années 70. De cette époque, Sin After Sin restera de loin le meilleur album, les autres étant plus ou moins inégaux. Un album live regroupant tous les classiques et les meilleurs moments de cette période, l'idée est séduisante sur le papier.
Compte tenu de l'immense énergie que déployait Judas Priest sur scène, aucun risque d'être déçu de ce côté là, Unleashed In The East ne laisse place à aucun répit et reste à ce jour le disque le plus pêchu qu'ils aient enregistré, live et albums studio compris. Bien sur, les rumeurs qui entourent la sortie de ce live, entièrement refait en studio (ou enregistré simplement pendant les balances, un procédé souvent utilisé par les groupes d'après Neal Morse), ne sont pas totalement infondées, on peut s'en rendre compte sur "Victim Of Changes" avec le passage suivant :
«You 'bin foolin' with some hot guy
I want to know why is it why
Get up get out you know you really blew it
I've had enough, I've had enough, good God pluck me»
A ce moment précis, les bruits de la foule sont vraiment suspects, ça sent la retouche à dix kilomètres. Toutefois, vrai live ou faux live, il faut bien admettre que la prestation haute en couleur et survitaminée du Priest délivrée ici est fidèle à ce qu'on peut retrouver sur les bootlegs d'époque. La performance de Rob Halford, alternant avec brio voix rauque et aiguës, reste d'une puissance inégalée.
Judas Priest n'a pas attendu Painkiller pour bourriner et pour cause, rien de tel que le très speed "Exciter" pour se mettre en appétit. Intro de batterie anarchique, les guitares sont saturées, presque sales, là où la version studio pouvait paraître bien sage, trop propre sur elle. Rob Halford est peut-être un peu à l'ouest dans ses aiguës mais cela fait parti du charme du personnage, il n'a jamais été parfait techniquement, il chante avec toutes ses tripes et privilégie l'émotion contrairement à son successeur, Tim Owens. Quant à Les Binks, son jeu sonne très « jam », tout à fait dans l'esprit des années 70. Comprenez par là qu'il en met de partout, roulements de toms en veux-tu en voilà. Pour illustrer le propos, c'est un peu comme si le batteur de Jimi Hendrix jouait avec Judas Priest. L'heure n'est pas encore aux années 80 et aux « poum tchac poum tchac » de rigueur, qui seront adoptés plus tard par Dave Holland et qui (à mon humble avis) conviennent mieux au Priest. Le heavy metal gagne souvent en efficacité quand il est joué de façon carrée, ce ne sont pas Accept et Manowar qui viendront me contredire, et encore moins les 99% des groupes de metal allemand.
Seulement voilà, il aurait été préférable que la set-list de ce live soit plus équilibrée et représentative du Priest cru 70's. C'est bien là son principal défaut. Le problème ne vient pas de la présence de Les Binks, ni des rumeurs concernant l'authenticité de l'enregistrement live... non, au contraire, l'excellent son, très brut et le feeling 70's de l'ensemble représentent un plus indéniable, une facette inédite du Priest qu'on ne retrouvera plus à partir de British Steel. Le problème vient de la set-list, dont la moitié est concentrée autour d'un seul album. Pourtant, le début d'Unleashed In The East ne fait pas de quartier avec "Exciter", un "Running Wild" endiablé et un "Sinner" impérial, laissant libre court à de longues plages instrumentales, chose que le Priest délaissera par la suite. Mais l'intensité retombe quelque peu à cause de deux reprises : le lourdeau "The Green Manalishi", toujours aussi poussif et dont le seul intérêt vient des « Oh oh oh oh » ! Quant à "Diamonds And Rust", elle est expédiée un peu rapidement et perd au passage toute la finesse de la version Sin After Sin.
Et à part ça ? Quatre titres de Sad Wings Of Destiny figurent sur ce live, ça fait beaucoup et c'est pourtant loin d'être leur meilleur album ! Une version survitaminée de "Genocide", agrémentée d'une superbe intro, très efficace et un "Victim Of Changes" dans une version bien plus attrayante que sur album, ce classique là n'est pas le "Black Dog" de Judas Priest pour rien. Mais cette sur-représentation de Sad Wings Of Destiny laisse peu de place pour les autres disques du coup. Un malheureux titre de Stained Class : "Exciter"... un paquet de classiques manque à l'appel, où sont passés les "Beyond The Realms Of Death", "Dissident Aggressor", "Delivering The Goods", "Hell Bent For Leather", "Rock Forever" et "Better By You, Better Than Me" ?
Vous l'aurez compris, Unleashed In The East est un live culte mais largement incomplet, même la version remasterisée avec ses bonus ne parvient pas tout à fait à combler ce manque. Autrement dit, si on tient là le meilleur live du Priest pour ce qui est du son, de la période, de la patate et de la qualité d'interprétation, Priest... Live ! et Live Meltdown auront au moins le mérite de proposer des set-list plus intéressantes et davantage représentatives du répertoire du groupe.