Je suis l'Alphspell et l'Omega.
Je suis Dieu et Satan. Et dieu va en prendre pour son grade.
Deathspell Omega a secoué comme rarement (jamais ?) le paysage du monde black metal en l'espace de 2 ans et 1 album, 1 mini et 2 chansons. L'aura de mystère qui entoure le groupe a sûrement plus que joué sa part dans l'incroyable engouement qui tournoie autour des français actuellement. Mais sa musique tient le rôle principal, il ne faut pas s'y tromper.
Car oui, durant ce laps de temps, Deathspell Omega est passé du statut de groupe prometteur mais fondamentalement ancré dans les carcans du genre à celui de pourvoyeur de musique maligne, sans équivalent et souffleuse d'une tornade d'originalité sans précédent. Si Monumentum Requires, Circumspice a posé les premiers jalons de la légende. Kénôse a entériné le passage dans le monumental. "Mass Grave Aesthetics" et "Diabolus Absconditus" ont porté le black metal dans des sphères divines. Ce Fas arrive donc dans une atmosphère d'espoir fabuleux et porteur d'un poids extraordinairement lourd. Comment Deathspell Omega va-t-il s'y prendre pour donner le jour à un successeur à la hauteur ? En effet, il est le premier véritable nouvel album de ces damnés depuis Si Monumentum..., celui qui doit continuer le concept initié sur l'album précédent.
Parce que Deathspell Omega c'est aussi un concept hors norme et la musique qui gravite autour plutôt que l'inverse. Si on pouvait résumer chaque album en une phrase, Si Monumentum... serait celui où le groupe remplace Dieu par Satan. Kénôse, lui, propose la destruction de l'essence divine via sa manifestation dans un corps humain (Jésus même s'il n'est jamais nommé) et dans l'esprit des hommes. Fas, lui, impose carrément la destruction de l'essence humaine. Il est cependant difficile de se prononcer avec certitude quant à la nature exacte des paroles du groupe car celles-ci sont modelées dans un anglais très littéraire et le langage en lui-même est particulièrement ésotérique ce qui rend le discours relativement imperméable à celui qui ne se plonge pas totalement dans celui-ci. Une chose est certaine en tout cas, même si les idées exprimées et les postulats adoptés pour arriver aux conclusions peuvent être discutables, l'expression même du concept et sa solidité sont remarquables. Que l'on y adhère ou non, force est de reconnaître qu'il jouit d'une application hors du commun.
Mais si le concept est posé comme pilier fondamental par le groupe et ses fans les plus acharnés, sa représentation musicale est ce qui nous intéresse le plus. Car Deathspell Omega est aussi un groupe de black metal, ne l'oublions pas. Et à ce niveau, difficile de ne pas être impressionné aussi. La bande continue sa progression instrumentale en se permettant de délivrer encore plus de changements de rythme, de breaks, d'accords qu'à l'accoutumée, et pourtant, les standards étaient déjà redoutablement élevés. D'ailleurs la musique dans ses multiples variations et ses silences arrive à rappeler par moments l'étouffant Ordo Ad Chao de Mayhem qui vient de sortir. Bien sûr, ces albums ayant été composés quasiment en même temps, l'influence mutuelle est à proscrire, mais indéniablement on entend du Ordo Ad Chao dans ce Fas. Et on entend aussi du Deathspell Omega. On entend surtout du Deathspell Omega. Car si ce groupe est si unique, c'est bien parce qu'il produit une musique qu'aucun, et absolument aucun, autre groupe ne fait à l'heure actuelle. La patte Deathspell Omega se reconnaît instantanément et il est impossible de la confondre avec quiconque.
Les riffs fusent de toutes parts, les banderilles estampillées batterie font mouche à chaque coup et ce chant si particulier est bel et bien de la partie. A ce propos, il faut admettre qu'au fur et à mesure des albums il est passé de point faible à force. Autant au début il paraissait rebutant, autant maintenant il est une évidence. Sa fusion avec la musique deathspellienne apparaît comme une imparable logique. En 11 mots comme en mille, il est la représentation vocale parfaite de l'Art du groupe. Instrumentalement derrière, comme déjà évoqué plus haut, la progression se poursuit. On est emporté comme jamais dans les maelströms tourbillonnants des guitares qui délivrent des riffs d'une qualité confinant tous au chef-d'oeuvre. Riffs qui sont inspirés de... Deathspell Omega lui-même par moments. On reconnaît du "Diabolus Absconditus" dans certains sons, du Kénôse dans certaines syncopes même si c'est encore poussé plus loin. Et enfin les blasts qui vont de conserve avec les riffs tourbillonnants arrivent à porter la musique à un degré d'intensité peu commun. Le passage aux 5 et 6e minutes de "Bread of Bitterness" est confondant à tel point il prend aux tripes. Exceptionnel.
C'est d'ailleurs une des qualités premières de cet album, l'intensité fabuleuse qu'il émane et la manière dont il hypnotise littéralement l'auditeur. On est captivé à un niveau sensationnel, cette envie qui fait qu'on veut que jamais certains passages ne s'arrêtent, cette sensation de vouloir rester à tout jamais dans des sphères d'une telle puissance. Pourtant Deathspell Omega n'est pas adepte de la stagnation et varie les plaisirs très régulièrement. Il aime à enchaîner les instants de silences avec les blasts les plus terribles. Cela vous fera sursauter lors des premières écoutes. Premières écoutes qui se révèleront éprouvantes puisqu'il est impossible de tout comprendre. On est balloté de toute part par tous ces riffs, ces modifications de tempo et cette construction aux méandres sans fin. La batterie n'aide en rien car d'une, elle est très peu souvent réglée sur un rythme clair et de deux, elle a tendance à occulter le reste dans ses blasts les plus terribles. Ca a pour résultat qu'on est perdu au cours des 3-4 premières écoutes. Il y a pourtant ce goût de reviens-y dû aux phases d'intensité extrême à l'addiction proche de la drogue dure et au sentiment qu'on aura toujours quelque chose à gratter pour saisir la moindre parcelle de cet extraordinaire album.
Extraordinaire album car il renferme des pétites incroyables en terme de compositions, portées à des sommets de complexités plus élevés encore que sur Kénôse, ce qui risque de lui faire perdre les auditeurs les moins friands de la chose. Extraordinaire car il trouve le moyen d'innover encore avec tous ces soli, particulièrement nombreux sur "A Chore for the Lost", avec ces passages où seule la partie rythmique s'exprime pour laisser place à la basse qui s'entiche de lignes délicieuses et à une batterie qui ne crache pas sur le jazz..., avec ces chants doublés sur cette même chanson.
Je suis l'Alphspell et l'Omega. Surtout l'Omega. L'Omega d'un genre auquel je montre de nouvelles routes. Je suis l'Omega de ces routes dont je ne connais pas encore la destination.