Il est étrange qu'un groupe comme AC/DC, plébiscité comme un des meilleurs (le meilleur?) groupes live de hard rock ait sorti aussi peu d'albums live. Remarquez, si AC/DC avait sorti un live après chaque tournée, on aurait crié à la surenchère, d'autant plus que ce n'est pas le genre de groupe à chambouler toute sa set-list d'une tournée à l'autre. Toujours est-il que le live précédent, If You Want Blood You've Got It, remonte à 1978. Bien des choses ont changé depuis.
Replaçons-nous dans le contexte qui accompagne la sortie de ce live, disponible en deux versions: une version simple ou un double live, au choix. Il va de soi que la version double est plus que recommandée. Donc AC/DC avait traversé une période de disette dans les années 80 (entre 1983 et 1989, grosso modo), avec des albums pas terribles (Flick Of The Switch et Fly On The Wall; Blow Up Your Video étant quant à lui assez bon) et des ventes en baisse. La prononciation du mot AC/DC ne provoquait plus l'euphorie comme au début des années 80. Doit-on rappeler que Back In Black est un des albums les plus vendus au monde? Si vous regardez bien la collection de vinyles de tout amateur de rock, vous verrez que dans 99% des cas, Back In Black en fait partie.
Et comme par magie, AC/DC a réussi à reconquérir le statut qu'il occupait avec Back In Black, grâce à l'album The Razors Edge. AC/DC redevient à nouveau le groupe top tendance dont tout le monde parle. Plutôt cool pour un groupe vieux de près de vingt ans à l'époque. Il faut dire aussi qu'avec la grosse production américaine de Bruce Fairbairn, The Razors Edge avait tout pour plaire au marché américain. Mais ce n'est pas un album de tatas pour autant: "Thunderstruck", "Fire Your Guns", "Are You Ready"... AC/DC n'avait pas sonné aussi hard et puissant depuis des lustres! Toutefois, The Razors Edge, aussi bon soit-il, a quand même mal vieilli et n'est plus la bombe qu'il a été au moment de sa sortie. Mais reconnaissons-lui le mérite d'avoir ramené le groupe au top! Aurait-on autant entendu parler d'AC/DC si Razors Edge n'était pas sorti? Je pense pas. S'il était resté dans un trip "roots" et loin de toutes sonorités commerciales, comme sur Flick Of The Switch, le groupe serait progressivement tombé dans l'oubli.
AC/DC joue très fort: les guitares sont encore plus saturées qu'en 1978, Chris Slade est un grand cogneur (cf. l'intro des toms sur "Thunderstruck") et Brian Johnson hurle comme un porc, ce qui peut devenir soûlant à la longue. Mais Brian Johnson est un élément indissociable d'AC/DC, pour le meilleur et pour le pire (il n'a pas la classe de Bon Scott). Malgré tout, on ne retrouvera pas la fraîcheur et l'urgence du live If You Want Blood You've Got It. Et ce n'est pas un concert complet enregistré sur une seule date. Les blancs entre certaines chansons nuisent à son intensité et donnent plus l'impression d'écouter un best of qu'autre chose.
Mais quel best of par contre! Que des classiques ou presque! AC/DC ne s'attarde pas trop sur les années 80 (Flick Of The Switch et Fly On The Wall sont zappés), en n'y reprenant que ce qui est essentiel : les deux morceaux phares de Blow Up Your Video ("That's The Way I Wanna Rock 'N' Roll" et "Heatseeker"), cent fois plus speeds qu'en studio, "Who Made Who" de la B.O. du film Maximum Overdrive, ainsi que le final monstrueux sur "For Those About To Rock (We Salute You"). Back In Black est bien représenté par contre, avec quatre chansons. AC/DC sont les rois des refrains pour les beaufs hardos en perfecto, ceux de "You Shook Me All Night Long" et "Money Talks" sont bien niais, avec leurs mélodies en carton.
Restent les riffs, et là AC/DC explose tout: "TNT", "Sin City", "High Voltage" (le riff après l'intro, il tue non?), "Jailbreak"... Que des titres de l'ère Bon Scott en somme. Dommage qu'Angus Young se prenne un peu trop pour un "guitar hero". Il joue vraiment comme un pied quand il part dans ses impros live (sur "Jailbreak" et "Let There Be Rock"). Bon, c'est vrai, c'est marrant, c'est pour le spectacle, mais d'un point de vue artistique, CDLM, un enchaînement brouillon de notes jouées à toute vitesse. Sans oublier que sur le support audio de ce live, on doit se farcir pendant trois plombes la rythmique basse - batterie de "Jailbreak", pendant qu'Angus fait son strip-tease. Et ça, on ne le voit pas sur le CD, d'où l'intérêt de posséder l'excellente vidéo, récemment rééditée en DVD, du concert complet des Monsters Of Rock 91. La plus grosse longueur, c'est sur "Let There Be Rock", avec le pauvre riff de Malcolm Young répété en boucle, pendant qu'Angus fait le beau. De quoi être écoeuré par ce morceau!
Bref, si Angus Young pouvait se contenter de reproduire à l'identique les solos qu'il joue sur disque, ce serait parfait. Pour les impros, disons qu'il n'est pas Ritchie Blackmore. Quoiqu'il en soit, AC/DC est au hard rock ce que les Rolling Stones sont au rock et Johnny Hallyday à la variété française: un phénomène de masse que l'on s'empresse d'aller voir au Stade de France, et ce même si on ne connaît que deux chansons du groupe. Un mythe, une icône intouchable! Pour preuve, l'album le plus moyen ne parviendra jamais à les ébranler, ni même une absence prolongée de cinq ans!