« Il aura fallu attendre 8 ans pour que les Australiens nous offrent un successeur au très médiocre Stiff Upper Lip. 8 ans à attendre Black Ice, l'album qui met tout le monde d'accord, avec ses riffs incandescents sur des rythmiques de tractopelle! On n'avait pas vu ça depuis Ballbreaker! »
Enfin ça c'est que l'on aurait aimé... Parce que la réalité est un peu plus fade. Alors oui c'est carré, oui c'est rock et oui il y a des bons riffs , mais ça manque quand même de sueur, de panache, de burnes quoi! N'ayons pas peur de le dire : on sent bien que le cœur n'y est plus. Enfin moins...
La première écoute est plutôt satisfaisante, le son est bon (voire très bon), les frangins Young sonnent toujours comme un seul homme et Johnson est en grande forme. Les riffs à trois accords, la basse linéaire et la batterie binaire nous mettent en confiance : on se sent à la maison. Un peu trop même. D'ailleurs à la fin de la première écoute on se pose LA question : mais où sont-ils les morceaux qui déboitent? Les "Thunderstruck", les "Hard As a Rock", les "For Those About to Rock"? Ils ont dû rester dans les cartons sans doute, parce que là, pas de quoi se briser la nuque : les morceaux restent bien souvent mid tempo (même mid mid tempo), le groove est à son minimum syndical et les gros riffs qui déboulent, marque de fabrique du lutin, sont quasi-inexistants... Du coup l'impression la plus flagrante (et non démentie par les autres écoutes) c'est que les Australiens appliquent des recettes. Qui fonctionnent, hein, les bonhommes ont 30 ans de boutique, mais qui manquent un peu de piquant.
Passée la première impression un peu négative, il faut reconnaître que Black Ice est un album qui se découvre au fil des écoutes. Déjà parce qu'il fait près d'une heure (fait rare chez AC/DC qui n'a que rarement dépassé les 40 minutes) et que le manque de morceaux « in your face » le rend assez compact. Et aussi parce que les compositions s'y prêtent. Moins efficaces, moins catchy, c'est sûr, mais pas forcement moins attachantes ; l'album contient tout de même son lot de perles. A commencer par "Rock 'n' Roll Train", single surmédiatisé, mais qui fait quand même son petit effet : merci à Phil Rudd et Brian Johnson qui tiennent la baraque parce que pour le coup, les frelots sont assez discrets. Remarque que l'on peut d'ailleurs appliquer à l'ensemble de l'album, les deux guitaristes d'habitude surexposés sont plutôt en retrait (qui à dit à la retraite?) faisant la part belle à la paire Rudd/Johnson. Mais le plus étonnant c'est d'entendre ce bon Cliff ! Bon, ses lignes de basse ne cassent pas trois pattes à un canard, mais c'est quand même sympa de lui avoir fait une place.
Des bons morceaux donc. "War Machine" par exemple. Belle ambiance un peu inquiétante à la "The Furor" instillée par le duo basse/batterie, petit break sympa bien porté par Johnson et un Angus Young qui sort de sa réserve pour balancer deux-trois soli redoutables : Yeah! Petite boule de rock 'n' roll nerveux, "Wheels" nous rappelle les grandes heures du groupe : riff simple mais efficace, des musiciens bien dedans et un Angus qui balance les watts... C'est pas trop tôt. Il faut cependant attendre la toute fin de l'album pour voir poindre le meilleur morceau de l'album : "Black Ice". Bien construite et groovy en diable, elle nous rappelle que quand-même-ces-frères-Young-c'est-des-sacrés-compositeurs : riff tortueux, un Brian Johnson impérial, et le petit solo qui va bien. On rajoute à ça "Spoilin' For A Fight" et "Big Jack" (pour leurs refrains bien foutus et leur petit côté boogie) et le tableau est dressé : il y a 5 bons morceaux dans Black Ice...
Bon d'accord, un peu plus quand même... "Rockin' All The Way" et "She Likes Rock 'n' Roll" sont sympathiques et font taper du pied ; le couple "Decibel"/"Stormy May Day" est plutôt bon, dans un style plus blues-rock qui va bien aux Australiens. Parce qu'en fait c'est ça le truc : les gaillards sont quand même plus près du blues-rock que du gros hard-rock sur Black Ice. Et c'est pas dommage! Car sur les morceaux un peu en dessous, le côté bluesy bien maitrisé du combo rattrape les défauts de composition (qui, dans le cas des frères Young, s'apparentent plus à des idées « faciles » et redondantes qu'à de vrais défauts d'écriture) et leur évite de trop tourner en rond. Suffit pour s'en convaincre d'écouter la « ballade » "Rock 'n' Roll Dreams", franchement pas transcendante de prime abord, mais qui devient attachante grâce au talent de raconteurs musicaux du trio. Sinon un petit conseil pour finir : évitez quand même "Anything Goes", éprouvante pour les nerfs.
Alors finalement que penser de tout ça? Que Black Ice n'est sans doute pas l'album qui détrônera Back In Black, Let There Be Rock ou Dirty Deeds. Qu'il lui manque vraiment deux-trois hits vraiment punchy et qu'il aurait du être amputé de quelques morceaux de remplissage pour être vraiment bon. Reste que ce Black Ice est un album honnête, avec son lot de bons titres et un côté blues-rock pas dégueulasse. Malheureusement, un album honnête ne suffit pas toujours quand on parle de légendes. Mieux vaut alors ne pas penser qu'il s'agit sans doute de leur baroud d'honneur, parce que ce serait quand même dommage de refermer un énorme chapitre de l'Histoire du Rock sur ce Black Ice.