Chronique : Katatonia Last Fair Deal Gone Down (2001)

CHRONIQUE PAR ...

Winter
Cette chronique a été mise en ligne le 07 juin 2025

Sa note : 18/20

LINE UP

-Jonas Renkse
(chant)

-Anders Nyström
(guitare)

-Fred Norman
(guitare)

-Mattias Norman
(basse)

-Daniel Liljekvist
(batterie)

TRACKLIST

1) Dispossession
2) Chrome
3) We Must Bury You
4) Teargas
5) I Transpire
6) Tonight's Music
7) Clean Today
8) The Future of Speech
9) Passing Bird
10) Sweet Nurse
11) Don't Tell a Soul

DISCOGRAPHIE

Dance of December Souls (1993)
For Funerals to Come (EP) (1995)
Brave Murder Day (1996)
Discouraged Ones (1998)
Tonight's Decision (1999)
Viva Emptiness (2003)
Brave Yester Days (2004)
The Black Sessions (2005)
The Great Cold Distance (2006)
Night Is the New Day (2009)
Dead End Kings (2012)
Dethroned & Uncrowned (2013)
Sanctitude (live) (2015)
The Fall of Hearts (2016)
City Burials (2020)
Sky Void Of Stars (2023)

Katatonia - Last Fair Deal Gone Down

(2001) - rock doom metal - Label : Peaceville Records

Darren peine à se lever. Il s’est couché tard. Il n’a pas le moral. Dans son douze mètres carré règne un chaos indescriptible. Sans parler de la pile de vaisselle sale qui déborde de l’évier. Darren s’en moque. Il n’a pas aimé ce que Jenny lui a dit hier. « De toute façon, tu n’es qu’un emo, tu ne peux pas comprendre ! » Il se sent vexé, presque meurtri. Le monde est injuste. Il aime Jenny. « Tu ne peux pas comprendre ! » Et elle ? Le comprendra-t-elle un jour ? Non, vraiment, le monde est injuste.

La technique de Darren avec les filles est celle de la « mosquita muerta », la petite mouche morte, en français. Avec sa gueule de cocker triste, il ne peut pas prétendre frapper leur imaginaire érotique d’entrée de jeu. Alors il s’immisce petit à petit dans l’intimité des jeunes femmes touchées par sa sollicitude et pas trop regardantes point de vue hygiène corporelle. Il finit indéfectiblement par se retrouver dans leur lit. Avec Last Fair Deal Gone Down, ce fut l’arroseur arrosé. Darren a acheté le CD à sa sortie car la salle de bains dépeinte sur la pochette ressemble à celle de son studio. Il n’a pas détesté ce mélange entre rythmique metal et mélodies « pop dépressif », chanté du bout des lèvres par un type qu’il imagine aussi boudeur que lui, mais de là à s’enticher de l’album à ce point… A la base son truc, c’est Radiohead, quoi. Darren et moi venons d’horizons musicaux différents mais sommes au moins d’accord sur un point. Le fait que Last Fair Deal Gone Down nous plaise autant est un peu un mystère. D’ailleurs, je ne sais même pas exactement où le classer, cet album. J’ai choisi « doom », car aucun blast n’a jamais réussi à rentrer dans cet univers, que la section rythmique sait envoyer du lourd et qu’il y a "Passing Bird" et son bridge doomissime, avec des mugissements de guitares dignes de… Celtic Frost -j’assume la comparaison.
Et sinon, j’ai mis « rock », comme un aveu d’impuissance devant une œuvre décrivant de la meilleure des manières l’univers moderne et dépressif de Katatonia. Il s’agit de leur seule œuvre post Brave Murder Day sur laquelle j’apprécie non seulement les titres les plus heavy mais où les titres plus légers me plaisent tout autant. Dans cette seconde catégorie, une mention spéciale pour le plus candide des aveux d’assassinat avec préméditation, j’ai nommé "We Must Bury You" et ses guitares acoustiques entêtantes, un morceau bourré de charme malgré sa structure simpliste. Comme sur l’ensemble de l’œuvre, les paroles sont d’une honnêteté touchante, comme celles que seuls les unholy students of trve depression peuvent écrire, jetées comme ça, sur le papier, sans aucun type de raffinement. Si je n’écarte aucun titre tant l’album s’avère plein – "Tonight’s Music" est peut-être l’unique petit coup de mou-, je suis capable de répéter quelques chansons en boucle et de les chanter à tue-tête pendant des semaines pour le plus grand malheur des personnes non sourdes vivant autour de moi. Outre "We Must Bury You", donc, "Chrome" et ses guitares shoegaze me séduit par ses embardées, et le chant approximatif de Jonas contribue au charme de l’ensemble. "Clean Today" et "The Future of Speech" possèdent une lourdeur et une beauté triste attachantes. "Passing Bird" me donne envie de savoir quelle est la femme aux cheveux noirs et à la robe de la même couleur dont le groupe parle si mal. Quant à "Sweet Nurse", il s’agit d’une brillante semi-ballade évoquant la figure la plus universelle des fantasmes étudiants. Au final, l’alchimie boudeuse que Katatonia a tenté de développer pendant toutes ces années n’a jamais autant pris que sur ce cinquième album. Le début du dernier titre laisse préfigurer la propension qu’aura le groupe à s’éloigner fortement du monde des guitares saturées, beaucoup trop à mon goût, mais ça, c’est une autre histoire.

Après un Discouraged Ones très inégal, puis un Tonight’s Decision globalement fort satisfaisant, Katatonia sort sa meilleure œuvre « post graou » - Dance of December Souls et Brave Murder Day sont hors concours. Rempli de belles idées, d’une candeur touchante et tout de même porté par une rythmique solide, Last Fair Deal Gone Down est une sublime ode à la contemplation d’une piaule étudiante. Une œuvre incontournable du metal du vingt-et-unième siècle.