Caen, le 5 juillet 2015,
Cher Jonas,
Comment vas-tu ? J'ai entendu dire que tu avais donné des concerts récemment ? C'est bien. Tu as toujours eu besoin de t'exprimer. Depuis déjà... 1991, 1992 ? Par là. Autant dire que tu as roulé ta bosse. J'ai toujours suivi ton parcours. Les disques qui s'enchaînent et le temps qui passe, plus vite. Ses effets sur toi ont toujours été notables : Dance, Discouraged, Last Fair Deal, Great Cold Distance, et maintenant, Sanctitude. Tu as tellement changé. Mais je te reconnais toujours. Le teint pâle. Le regard triste. Sourire en coin. A l'écoute et pensif.
Je vais bien. J'essaye. Tu sais ce que c'est. Quelqu'un a écrit ça, un jour. « Le monde a des dents, et quand l'envie le prend de mordre, il ne s'en prive pas. » Mais ta musique est là pour passer au-dessus de tout ça, Jonas. Une bulle de protection, au quotidien. En cela, tu n'as pas changé. Seule la forme a évolué. Vers plus de douceur - en apparence. Je n'ai jamais compris par quel miracle un être humain pouvait - si parfaitement - retranscrire, à l'aide de notes enchâssées les unes dans les autres, avec de l'espace et du vide, les états d'âmes. C'est quelque chose que tu sais faire mieux que jamais. En cela, tu n'as pas changé, c'est certain. Sanctitude. Concert acoustique. Le terme me rappelle Ségolène. C'est drôle, quand on y pense. « Sanctitude - Ségolène ». Association improbable. L'une gigote beaucoup trop : elle en a fait son métier (la politique, pas le pole-dance). L'autre - toi - observe et ne décoche pas un mot. Mais bref. Je disais : j'ai écouté Sanctitude, mais aussi tes dernières œuvres. Laisse moi t'en parler. Rapidement.
Tu sais, Jonas, je t'ai toujours aimé d'une certaine façon, particulière, mouvante, mais je t'ai toujours aimé. Tu peux en être sur. J'ai parfois été vexé car mon amour n'est pas aveugle. C'est ce qui le rend plus profond. J'ai été vexé de ne pas comprendre ton regard à l'époque où tu proclamais Night Is The New Day. J'étais laissé pour compte. Tu étais dans une impasse. Avait perdu ton charme. « Ce n'est pas toi, c'est moi » , aurait alors été la phrase parfaite pour notre rupture, Jonas. J'ai failli la prononcer. Puis, ironiquement, tu t'es enfoncé dans l'impasse, Dead End King. Ton surnom. J'ai regardé l'espace s'épaissir entre nous. Tu étais devenu lisse. Prévisible. Mais le temps a passé... Le temps a passé et, un matin, j'ai changé. J'ai compris. J'ai compris ce que tu étais devenu. Dead End King ? Peut-être l'une de tes plus belles œuvres. Un changement de paradigme dans ta musique. C'est tout. Les plaies se refermaient. Étrangement et heureusement.
Depuis nos retrouvailles, toutefois, je te trouve distant. Que vas-tu devenir ? Qu'allons-nous devenir ? Dethroned and Uncrowned ? Cet acoustique trop plein de vide ? Joli. Mais d'un intérêt vague. Comme si tu méditais une philosophie parfaite, mais stérile, au lieu d'ouvrir de grands yeux sur le monde, comme tu l'avais toujours fait. Aujourd'hui, Sanctitude. Pour immortaliser ton versant le plus doux. Concert acoustique, mignon mais trop plein de creux, lui aussi. Le constat est le même. J'apprécie tes efforts. Notre relation est aujourd'hui saine et apaisée. Mais Sanctitude. Qu'en dire. Une preuve d'amour tiède, mais une preuve d'amour toujours. Tu as ressorti nos vieilles cartes. "Gone" - dépouillée - , "A Darkness Coming" - simple , "Day" - grandiose. Tu as conservée les dernières, trop nombreuses pour toutes les citer. Et c'est beau. Dépouillé. Clair. Le chant est sincère et magnifique. L'interprétation honnête et limpide. C'est comme si... comme si tout passer au filtre de l'acoustique, de la pureté, permettait de juger le fond des choses, sans artifices. En cela, Sanctitude m'a fait plaisir. Car chez toi, le fond des choses est bien souvent magnifique.
Beaucoup d'efforts, et autant de bons moments. L'extase sur "Idle Blood", "Unfurl", "The Racing Heart" et d'autres. Mais pourquoi tant d'efforts ? Par moments, je ne savais plus où tu voulais en venir. Finalement, les bons moments de ta carrière restent des bons moments (rarement sublimés par l'acoustique) ; et les moins bons le restent également (jamais catastrophiques non plus, rassure toi). Le passé est figé. Se replonger dedans, acoustique ou non, n'a pas grand intérêt. Jonas, je n'ai pas compris ce que tu as véritablement voulu faire à l'occasion de cette parenthèse acoustique. Mais c'était beau. Parfois un peu long, parfois un peu vide. Je n'ai pas vraiment compris mais je retiendrais que c'était beau, malgré tout.
Affectueusement,
Droom