Faisons un bond de 25 ans en arrière, et replongeons-nous en ces temps immémoriaux où, bien loin de susciter les nombreuses polémiques de ces dernières années, Metallica faisait l'unanimité avec ce premier essai mythique. Si ce terme est souvent employé à tort et à travers quand il s'agit de musique, force est de constater que ce Kill'em All fait partie du cercle restreint des albums majeurs ayant influé sur le cours de l'Histoire du metal.
Un peu d'histoire pour commencer : Metallica est très souvent présenté comme le géniteur du thrash, et Kill'em All comme sa première incarnation. Ceci est une vision assez abusive de la réalité : en misant tout sur la vitesse et l'agressivité à outrance, Metallica prolongeait en quelque sorte le travail de Venom (qui lui-même s'était appuyé sur Motörhead), tout en l'amenant à un cran nettement supérieur. De plus, comme le décrit Joel McIver dans son excellente biographie Que justice soit faite, plusieurs des combos thrash majeurs tels que Slayer ou Exodus fourbissaient déjà leurs premières armes au sein d'une scène en pleine ébullition avant même que cet album ne soit paru. Mais finalement, peu importe : en dégainant le premier, Metallica défrichait de nouveaux territoires et s'assurait une courte mais déterminante longueur d'avance, qu'il conservera pendant plus d'une décennie. Et pourtant, tout ne fut pas simple : il faut songer que Kirk Hammett n'intégra les rangs qu'à peine un mois avant l'enregistrement de cet album, en remplacement d'un Dave Mustaine débarqué du groupe sitôt arrivé à New York et renvoyé par bus en Californie !
Kill'em All, c'est avant tout le manifeste d'une bande de jeunes loups ambitieux prêts à mettre le monde à genoux, fort d'une foi inébranlable en eux-mêmes. Un rapide coup d'œil aux paroles confirme cette impression. Morceaux choisis : « We’re gonna kick some ass tonight (...) We’re gonna blow this place away with volume higher » ("Hit the Lights") ou encore « Here on stage the Marshall noise is piercing through your ears, it kicks your ass, kicks your face (...) We will never quit cause we are Metallica » ("Whiplash"). Plutôt éloquent, non ? A cette époque, les membres du groupe étaient bien loin posséder la maîtrise affichée par la suite. Malgré déjà une belle science du riff, Hetfield se contente encore de brailler ses textes avec sa voix de post-adolescent n'ayant pas fini de muer ; quant à Kirk Hammett, ses soli relèvent alors d'un registre plus énergique et fougueux que réellement technique. Mais rien de bien gênant, car ces quelques limites n'empiètent en aucune mesure sur la qualité et l'efficacité des morceaux.
Efficacité, c'est bien le maître mot de cet album. Les morceaux sont très directs et sont essentiellement basés sur des riffs supersoniques (enfin, pour l'époque bien sûr, quand les têtes d'affiche se nommaient Judas Priest, Def Leppard ou Motley Crüe). À ce titre, l'intro et l'attaque du riff de "Hit the Lights" annoncent parfaitement la couleur et restent un modèle du genre encore aujourd'hui. Ce postulat ne souffre que de rares exceptions, comme le priestien "Jump in the Fire" et le mythique "Anesthesia", ce solo de Cliff Burton qui est à la basse ce que "Eruption" de Van Halen est à la guitare. De même, avec sa construction un peu plus lente et surtout plus élaborée, avec ce passage calme et ce final dantesque, "The Four Horsemen" fait un peu figure d'ovni sur cet album. A l'origine d'un des surnoms de Metallica, cette chanson symbolise la guéguerre l'ayant opposé à Megadeth : en effet, co-écrit par Mustaine, la version originale de ce morceau (plus brute, plus rapide mais aussi moins convaincante pour ma part), intitulé "The Mechanix", figure sur le premier album de ces derniers.
Pour le reste, c'est un déluge de riffs dévastateurs qui s'abat sur l'auditeur, qui peut se délecter de plusieurs musts du thrash, servis par une production crue mais qui a plutôt bien résisté à l'épreuve du temps (comparez avec Show no Mercy de Slayer, sorti la même année !). Certains titres ont même traversé les années et figurent régulièrement sur les setlists actuelles de Metallica, comme "Motorbreath" ou "Whiplash". Après une très légère baisse de régime sur "Phantom Lord" et "No Remorse" (malgré un final époustouflant faisant partie des meilleurs passages de l'album), Kill'em All s'achève de la plus belle des façons. Avec son riff d'intro mémorable, son break incendiaire et son refrain à se faire péter les cordes vocales en live, "Seek and Destroy" est clairement un des hymnes de Metallica et à coup sûr un des morceaux les plus populaires auprès des fans. Enfin, last but not least, "Metal Militia" est sûrement la trace la plus probante du passage de Dave Mustaine dans Metallica. Riff saccadé, tempo endiablé, refrain scandé et rhétorique guerrière : tous les ingrédients de la recette thrash de grand-maman (celle que Findus n'arrivera jamais à égaler) sont réunis avec, cerise sur le gâteau, un coda avec bruits de botte et balles qui fusent pour un résultat inoubliable. Décapant !
Entièrement dédié à la cause du thrash naissant, Kill'em All est assurément le moins complexe et le moins varié de tous les albums de Metallica. Cela ne l'empêche pas d'être l'opus préféré des Four Horsemen pour de nombreux fans, séduits par ce côté direct et sans concessions. Mais surtout, Kill'em All a contribué à une révolution pour le metal, en le rendant plus sale, plus dur, plus rapide, plus bruyant. Cet album a ouvert de nouvelles perspectives pour toute une génération de fans et de musiciens, attirés par une musique qui se fera de plus en plus extrême. Laissons le mot de la fin à Tom G. Fischer de Celtic Frost : « Il ne faisait de doute pour personne que nous étions au début d'une nouvelle ère pour le heavy metal. (...) [Metallica] faisait une musique unique, et Kill'em All a représenté une innovation. Avec cet album, ils ont changé les règles du jour au lendemain ».