En 1991, avant la sortie de cet album, Metallica est déjà un groupe établi. Au succès critique remporté par son impeccable carré magique s'est ajouté le succès commercial, puisque …And Justice for All a atteint la quatrième place des charts US. Mais personne ne se doutait encore que ce Metallica, plus communément appelé le «Black Album», allait transformer un groupe de metal en un poids lourd de l'industrie musicale mondiale.
En effet, Metallica est un album hors normes, plus de par son impact que par sa qualité intrinsèque. Il s'est écoulé à près de 25 millions d'exemplaires dans le monde, dont près de 450 000 copies en France, une performance ahurissante pour un album de heavy metal. En revanche, point question de thrash, mis au placard pour une bonne décennie. Cette nouvelle direction musicale déroutera les fans de la première heure, qui ne seront pas ménagés au cours des années 1990. On a d'ailleurs beaucoup évoqué l'avènement du grunge pour expliquer la mort du thrash (Nevermind sortira à peine un mois et demi après Metallica), mais cet album y est aussi pour beaucoup. Derrière un leader et fondateur de la scène qui entame un virage heavy très réussi, beaucoup tenteront leur chance, pour des fortunes diverses. Si Megadeth emboîtera avec succès le pas de son modèle avec Countdown to Extinction, certains sortiront de bons albums qui s'avéreront néanmoins des échecs cuisants (Set the World on Fire d'Annihilator, Sound of White Noise d'Anthrax) tandis que d'autres se planteront complètement (l'horrible The Ritual de Testament). Parmi les rares qui conserveront leur style initial, Slayer (Divine Intervention) et Exodus (Force of Habit) sonneront ringards du fait d'un manque évident d'inspiration, sans compter les nombreux seconds couteaux qui splitteront dans l'anonymat le plus complet. Et voilà comment faute de leaders, l'âge d'or du thrash prit fin.
Alors que dire sur le disque en lui-même ? Les premières interrogations naquirent dès l'annonce du recrutement de Bob Rock à la production, célèbre pour son travail avec Bon Jovi et surtout Motley Crüe. Pas vraiment le même style que les Horsemen quoi. Au contraire, ce fut une bonne chose : le son est excellent, avec des guitares tranchantes et surtout une batterie énorme. Chose rare, on entend même la basse, qui n'avait pas eu voix au chapitre sur …And Justice for All. Une façon pour le groupe de se faire pardonner auprès de Newsted. Quant aux morceaux eux-mêmes, fini les titres à tiroir qui avaient fait la renommée de Metallica : la plupart des titres ont une construction très classique et relativement épurée. La grande nouveauté de l'album, c'est probablement le chant : pour la première fois Hetfield s'est décidé à vraiment chanter. L'accouchement n'a pas été facile, loin de là. Ceux qui ont vu la vidéo 1 an et demi de la vie de Metallica – 1ère partie doivent s'en souvenir. En revanche, et on s'en doutait vu le potentiel dévoilé à de trop courts moments sur les précédents albums, le résultat est vraiment convaincant. Enfin, le tempo de l'album est relativement lent, et les rares titres rapides ("Holier than Thou", "Through the Never") correspondent également aux légers creux de l'album. Avec "Struggle Within", Metallica composera même son premier titre vraiment mauvais. Ceci dit, on trouve également sur cet album plusieurs des sommets de leur carrière.
Ainsi, l'enchaînement des deux premiers titres est un véritable must. Nul ne pourra nier qu'"Enter Sandman" est par essence LE metal-hit, à la fois puissant, heavy (cette intro !) et catchy, avec un refrain dont il est difficile de se débarrasser une fois en tête. Quant à "Sad But True", son tempo plombé et sa caisse claire foudroyante en font une petite merveille live. Metallica s'est d'ailleurs mué en spécialiste de ce genre, puisque dans la même veine bien lourde, "The God that Failed" est également fort appréciable. Avec la fin de "My Friend of Misery", "Wherever I May Roam" est un des (trop) rares moments de l'album où les Horsemen lâchent les chevaux, et c'est un peu dommage. En effet, le contraste entre couplets bien heavy et accélération débridée sur le pré-refrain fonctionne à merveille, et a décidément goût de trop peu. Enfin, on retrouve deux ballades sur l'album. "The Unforgiven" est une semi-déception : avec une structure vaguement power-ballade, on croit avoir affaire à un nouveau "Welcome Home (Sanitarium)" ou "One", mais l'explosion finale tant attendue ne viendra jamais. En revanche, le chant tout en sensibilité de Hetfield est un réel atout. En revanche, "Nothing Else Matters" a fait couler beaucoup d'encre. Il s'agit là d'une pure ballade, sur laquelle beaucoup de guitaristes en herbe se sont fait la main. Bien que magnifique, cette ballade aura cristallisé autour d'elle l'essentiel des polémiques liées à cet album. La présence d'arrangements de cordes orchestrés par Michael Kamen, avec qui le groupe collaborera plus tard sur S&M, sera une pilule difficile à digérer (à l'époque) pour les amateurs de metal. En revanche, le succès de "Nothing Else Matters" en tant que single aura été pour beaucoup dans le succès de l'album auprès du grand public.
Aujourd'hui, on a presque l'impression de devoir réhabiliter le «Black Album», car il ne semble plus guère soulever l'enthousiasme des foules. Les fans du groupe préfèreront toujours les premiers albums, et celui-ci semble correspondre à une époque désormais révolue. Il fut néanmoins une passerelle jetée vers le grand public, et une formidable porte d'entrée vers le monde du metal pour de nombreuses personnes qui y étaient totalement étrangères. Parmi les acquéreurs de la bête, certains ont continué leur parcours et sont devenus de vrais fans de metal en général, alors que d'autres en restèrent à Metallica, voire même se cantonnèrent au «Black Album». Quoiqu'il en soit, voici un bon album, tellement entendu qu'on n'y fait plus vraiment attention, mais qu'on peut encore redécouvrir avec plaisir.