Drudkh -
Lebedynyy Shlyakh (The Swan Road)
Lebedynyy Shlyakh, voici le nom du troisième album de Drudkh. The Swan Road pour les false. Réedition sortie par leur nouveau label Season Of Mist sur lequel ils ont déjà lancé leur dernier album en date à savoir Microcosmos. Où l'on apprendra quelle fut l'influence de Taras Shevchenko, figure emblématique de la littérature ukrainienne, comment dépasser un mur de saturation parasitée pour découvrir la musicalité qui sommeille en tout album de black et pourquoi re-masteriser un album peut avoir du bon.
Parce qu'on n'ose imaginer ce que cela donnait avant. D'autant que Drudkh semble être un véritable membre de la scène underground – d'où l'absence de précision quant au line-up. Et un enregistrement au son très cru. Il pourra s'agir d'un véritable obstacle aux premiers contacts avec The Swan Road. L'introduction "1648" fait durer quelques riffs aux variations presqu'imperceptibles (avec des sons de cloches en fond) pour ensuite laisser le titre "Eternal Sun" lancer son attaque de blast beats secs et de coups de crash écorchés: véritable mur de saturation derrière lequel semble pourtant évoluer une mélodie primaire, répétitive, qui disparaît à volonté derrière une soudaine volée de projectiles coupants. Alors oui, lorsqu'un passage acoustique débarque à la deuxième minute, c'est déjà un soulagement pour le novice. Soulagement car voici sûrement la porte d'entrée de cet album. À ce répit de courte de durée succèdent des grognements secs et graves sur un fond musical un peu plus digeste car moins saturé, malgré un set de cymbales décidément bien agressif. Et la fin du morceau de nous réserver un solo à la guitare plutôt inattendu mais fort bien mené.
C'est finalement avec le titre suivant "Blood" que l'on commence à comprendre où veut nous emmener The Swan Road. On hésitait encore entre une démarche hermétique et parasitée, demandeur d'un état d'esprit particulièrement renfermé et sombre pour l'apprécier et un album un peu entre deux eaux, flirtant avec une insistance discrète vers des tonalités folkloriques. Décidément mélodique, "Blood" nous sert un thème acoustique un peu triste mais touchant, puis une litanie électrique presque dansante, enfin un solo qui vient affirmer la couleur désespérée du morceau. Clôturant l'album et pour le coup purement acoustique du début à la fin, "Song of Sich Destruction" fait même dans la chanson régionale ukrainienne pas loin de la complainte, jeu exclusif d'une voix un peu rauque et de cordes pincées traditionnelles. De quoi rappeler le thème conceptuel de l'album construit autour des révoltes ukrainiennes contre le régime polonais au dix-huitième siècle, dont l'une des plus violentes fut la rébellion de Koliivshchyna en 1768. Ces « haidamakas » ont inspiré l'écrivain Taras Shevchenko, père fondateur de la littérature ukrainienne et emblème de la nation: ce sont ses poèmes qu'a donc repris Roman Saenko, leader du groupe, pour les textes de The Swan Road. Comme quoi, on peut se cultiver même en écoutant du black.
Le corps de l'album ressert globalement les mêmes éléments, pour des morceaux généralement longs, répétitifs, aux rythmiques lancinantes. L'atmosphère garde toujours ses constantes sombres et un tantinet oppressantes avouons-le, sans toutefois descendre trop profondément dans les Enfers. Pour varier les plaisirs, on notera la première partie du morceau "Price of Freedom" et ses riffs au groove subtil (qui rappellent un Enslaved période Ruun) avant de descendre à mid-tempo et finir sur un ternaire atmosphérique mais à dose de saturation toujours suffisante (que l'on se rassure). Une fois rentré dans la logique de l'album, on saura donc apprécier les variations bien présentes malgré une apparence monolithique – et malgré des growls malsains, heureusement non systématiques mais à la rugosité parfois éprouvante. Les déblatérations d'une batterie au son très raw, au charley particulièrement agressif entouré de crashes tout aussi sèches ne sont pas pour adoucir cette impression. Cela dit le tout forme bien un ensemble cohérent qui saura être apprécié des mélomanes (sic) en manque de leur dose journalière de musique crue et tortueuse. Ils sont prévenus.
Un album difficile d'accès donc que ce Lebedynyy Shlyakh à la fois par le son et l'apparent hermétisme des compositions. Soit on adhère sans retenue dès les premiers riffs parasités soit on se voit attendre que Drudkh nous propose un chemin détourné pour ne pas rester sur le carreau. Un peu de persévérance pour apprivoiser la bête pourra se révéler payant – pour peu que l'on soit réceptif au genre.