La flamme laissée dans la forêt par Drudkh quelques années auparavant ne s’est pas éteinte, elle luit nuit et jour. Une lueur cuivrée danse sur les troncs des arbres centenaires et éclaire le sol jonché de feuilles brunâtres. Le silence est omniprésent, seules les feuilles et le vent conversent. Le camp est resté abandonné, rongé par l’humidité, dépité.
Trois ans après un Eternal Turn Of The Wheel assez mitigé, un split avec Winterfylleth et une compilation qui annonçait la nouvelle qualité sonore de la production, les ukrainiens de Drudkh reviennent vénérer la forêt et leur nation avec une ardeur presque oubliée. Nous sommes (je l’espère) tous nostalgiques des débuts de Drudkh : Autumn Aura et ses ambiances à couper le souffle, Forgotten Legends et sa rage naturelle, sa puissance qui ne s’essoufflait jamais et Blood In Our Wells, l’ultime chef-d’oeuvre où tout atteignait la perfection à faire pleurer. La suite s’avérait parfois pas mal, parfois sympa mais la larme coulait très rarement, Roman distillait, certes, de bons riffs en comparaison avec le niveau moyen de la population mais son génie qui le hissait sur la cime du plus haut pin l’avait quitté. Le monde était en deuil après leur dernier essai en 2012 et voilà que A Furrow Cut Short nous arrache de notre monde, et nous emmène dans des contrées oubliées à toute vitesse… Celles que l’on pensait mortes à tout jamais. Drudkh a réouvert les portes de la forêt d’antan, elle a quelque peu changé, a perdu un peu de son charme mais l’effet est similaire à celui de revoir un vieil ami perdu de vue depuis longtemps. La larme coulera, messieurs, oui elle coulera mais pas tout de suite. La première écoute ne donnera rien, la dixième un peu plus, c’est à partir de la vingtième que la transcendance s’opère.
Tout cet enthousiasme est-il justifié ? Oui et non. Certes Drudkh est bel et bien de retour aux sources mais la forêt et la flamme ont perdu quelques gouttes d’ardeur et de magie, il fallait s’en douter. Mais ne pleurnichons pas, cela reste bien mieux que les deux albums précédents aux relents post-rock arrivés comme un cheveu dans la soupe. Roman a retrouvé sa puissance du passé et nous donne parfois l’impression d’être dans la suite de Blood In Our Wells ! Vous vous rappelez de ces riffs ? Simples, efficaces, lacrymogènes, qui incendiaient le corps instantanément dans un tourbillon d’émotions d’une rare intensité ? Eh bien, vous serez heureux de découvrir que A Furrow Cut Short dispose lui aussi de ces fameux riffs, de cette voix certes plus haut perchée mais chargée de cette haine magique qui nous transporte loin. Ultime mention spéciale à Vlad qui a enrichi son jeu pour le rendre bien plus varié (pour du Drudkh bien évidemment), émotif et aérien en apportant moultes nuances par le biais des cymbales. La production se veut jeune mais pas trop, propre mais toujours naturelle, la voix est plus en avant, les guitares occupent leurs places respectives, les claviers se veulent discrets, cristallins et soutiennent en douceur les leads enchanteurs de Roman Saenko, la batterie bénéficie entres autres de plus de présence. L’ambiance s'en voit du coup quelque peu changée : la forêt naturelle des débuts se voit recouverte d’un or brillant organique apportant un tout autre charme.
C’est dés la première minute que le voyage débute, à 100 à l’heure. Un riff grandiose, puissant, chargé d’une passion drudkhienne… "Cursed Sons I" nous prouve le retour aux sources, l’ambiance est là, la puissance l’est aussi, et le génie est de la partie. Thurios nous fait profiter des poèmes de son pays avec une voix hurlée et haineuse, le morceau rapide à la structure ingénieuse bénéficie d’un break qui fleure bon l’époque Blood In Our Wells, ce genre de break qui coupe le souffle et qui relance la machine de plus belle. Si la deuxième partie se veut plus lente et mélancolique, elle n’en reste pas moins étonnante d’intensité, le clavier apporte réellement une touche magique, la contemplation est de retour, ce sentiment d’être seule avec la plus belle chose l’est également. La larme monte et le coeur bat rapidement. "Embers" est le joyau noir, celui qui s’est imbibé de l’humidité de Forgotten Legends et du feeling d’Autumn Aura, tandis que le duo "Dishonour I" et "II" passe d’une vitesse dramatique à une mid/down-tempo empli d’une passion à pleurer pour terminer sur le morceau final… Un condensé de ce que sait faire Drudkh et plus encore, Roman nous sortant un de ses meilleurs riff, le plus dramatique et dépressif, du jamais vu chez eux, une tout autre ambiance s’installe, terrifiante, angoissante, la face cachée de la forêt, la haine enfin révélée dans toute sa splendeur.
Drudkh ne déçoit pas, nous livre un album d’une qualité remarquable qui demande un grand nombre d’écoutes attentives et une maturité que seule la solitude et la déception peut apporter. Un album destiné à un public nostalgique que les voyages les plus intenses émotionnellement n’effraient pas . Doré, organique, incandescent, véloce, les adjectifs manquent mais une chose est sûre. Le coeur est blessé et la larme a coulée.