Il faut bien le dire, Fight For The Rock avait été une sacrée déroute pour ce groupe qui portait alors tant d’espoirs. Oui, Savatage avait succombé à l’appel des gros sous et avait de ce fait accouché d’une bouse, comme c’est hélas bien souvent le cas. Mais le tout, c’est bien de s’en rendre compte. Alors voilà, c’est à peine une année plus tard que débarque Hall Of The Mountain King. Comme pour se faire pardonner ? Sans doute car, nous allons le voir, l’heure est à la remise au point.
En effet, contrairement à un Helloween qui choisira plus tard de sceller lui-même sa chute avec l’enchainement Pink Bubbles/Chameleon, Savatage a choisi d’oublier son erreur, ou plutôt d’en tenir compte afin de ne pas la reproduire. On n'est donc évidemment pas malheureux de retrouver ce heavy metal sombre caractéristique dès l’entame de Hall Of The Moutain King avec la tuerie "24 Hrs. Ago", qui non seulement nous rappelle avec brio pourquoi Savatage, c’est bon, mais se permet en plus de varier un peu le propos avec un passage instrumental plus groovy qu’à l’accoutumée sans dénaturer le titre. Criss Oliva fait encore une fois des merveilles en solo et la section rythmique, composée des désormais habitués Johnny Lee Middleton et Steve Wacholz (qui accompagneront le groupe pendant un bon moment), claque méchamment. Bref, du tout bon. La production n’est encore une fois pas au top, mais on entend distinctement tous les instruments, et ce côté cradingue renforce légèrement le côté sombre des compositions des frangins Oliva. Pour autant, Savatage n’oublie pas tout à fait son album précédent et se joue de ses erreurs avec la très mélodique FM "Strange Wings", et son riff stadium-friendly, qui n’aurait pas dépareillé sur Fight For The Rock sans un passage central plus heavy, faisant immédiatement taper un pied qui commencerait presque à s’endormir.
Heureusement, ce titre s’égare entre deux tueries, la première étant "Legions", son introduction à la basse sur un gros tapping de Criss, son gros riff et son passage central bien heavy rappelant le "Flight of Icarus" de la Vierge de Fer. La seconde, "Prelude to Madness", rend hommage à l’œuvre d’Edvard Grieg (composée pour la pièce de théâtre d’Henrik Ibsen, Peer Gynt), dont l’album emprunte le nom, en reprenant sa célèbre mélodie à la sauce guitaristique. Cette introduction annonce la tournure plus théâtrale que prendra Savatage tout en introduisant à merveille la chanson titre, dans laquelle la voix de Jon, reconnaissable entre mille, fait merveille en alternant voix claire agressive et voix de tête suraigüe qui n’inspire que la sorcellerie, théorie soutenue par des cris de damnés poussés ci et là. Pour le reste, à part la plus convenue "Strange Wings" sus-citée, aucun titre réellement en dessous du lot n’est à déplorer, et l’album entretient en son sein une unité appréciable au niveau des ambiances développées. Criss s’en donne à cœur joie en remplissant les titres de parties lead, faisant étalage de son sens de la mélodie et se mariant à merveille avec la voix de son frangin. Savatage fait même dans le vieux thrash poisseux avec "White Witch" pour mieux conclure son propos avec l’enchainement "Last Dawn"/"Devastation", qui développe encore une fois des ambiances riches et variées.
Savatage se rappelle donc à notre bon souvenir en proposant un album réussi et reprend par la même occasion son ascension vers les sommets, interrompue par le malvenu Fight For The Rock. La patte du groupe devient clairement reconnaissable et les recettes sont manipulées avec brio. Les Américains terminent donc de se forger leur identité, et auront à charge à l’avenir de varier le propos pour ne pas s’enfermer dans des barrières qui limiteraient la créativité des frères Oliva. En attendant, sachons nous satisfaire de cette nouvelle offrande fraîche et rassurante, en attendant des jours plus ambitieux.