Après un premier album qui, s’il ne tutoyait pas encore la perfection, offrait déjà un style bien affirmé, et un EP plus anecdotique, Savatage revient en cette année 1985 avec son troisième effort, Power Of The Night, au titre un poil ridicule. Et le chiffre trois, dans une discographie, est souvent associé avec les termes de maturité, de confirmation ou autres… Ce à quoi Savatage répond : ni l’un ni l’autre mon capitaine.
Mais rendons à César ce qui est à César : il y a des progrès indéniables sur cet album par rapport à Sirens ou encore The Dungeons Are Calling. Au niveau du son premièrement. Celui-ci est beaucoup plus clair et précis, et les quelques souffrances auditives que pouvaient nous offrir les galettes suscitées sont bien loin. Tous les instruments sont ici parfaitement audibles et distinguables les uns des autres ce qui, en ce milieu des années 80, est loin d’être une évidence. Seul ombre au tableau : une basse légèrement trop en avant qui du coup agace un peu par un ronflement trop permanent, mais c’est là chipoter, surtout pour une fois que l’on entend clairement la basse dans un album de heavy. La voix de Jon Oliva, quant à elle, illustre bien les deux termes cités dans l’introduction : l’homme qui avait déjà largement montré son talent sur Sirens impressionne en faisant preuve d’une retenue et d’une justesse exemplaire dans ses interventions. Car si la mode est alors aux cris suraigus, lui n’en fait jamais trop, et ses registres sont suffisamment variés pour constituer un plus indéniable aux compositions.
Les compositions justement, parlons-en. Bien qu’au sein de l’album la patte Savatage, à savoir ce heavy metal saupoudré de ténèbres, est toujours identifiable, les frangins Oliva ont clairement mis de l’eau dans leur vin au moment de composer les titres de Power Of The Night. Car si jusque là les influences du heavy metal européen au sein de la musique du ‘Tage pouvaient paraitre pleinement digérées, elles apparaissent ici beaucoup plus envahissantes. Le titre éponyme en est d’ailleurs un très bel exemple : après une intro technoïde dispensable, voilà que déboule un riff mid-tempo typique que ne renieraient pas les Judas Priest et autres Accept, même si quelques accords un peu plus dissonants et la voix de Jon sont là pour nous rappeler que bon, quand même ! Ainsi les "Necrophilia", "In The Dream" et la très FM "Hard For Love" parsèment l’album et laissent cette impression étrange que Savatage renie quelque peu son identité à travers ces titres pour s’aligner sur les standards du genre, bien qu’aucun de ceux-ci ne puisse réellement être qualifié de mauvais.
Et puis il y a les autres titres, ceux qui rappellent à notre bon souvenir ce fameux heavy metal maléfique et classieux que l’on avait pu entrapercevoir sur Sirens. "Unusual", avec sa rythmique béton, survolée par la voix éraillée de Jon et accompagnée de quelques nappes de claviers disséminées avec parcimonie rassurera directement ceux qui auront été surpris voir déçus par le titre d’ouverture. Quelques errements thrash viennent également s’incruster çà et là, avec notamment "Washed Out" qui, si elle ne révolutionne pas un genre qui en est à peine au stade de l’éclosion, apporte un changement de rythme bienvenu entre deux compositions un poil trop aseptisées au goût de certains. Il faut également saluer le talent de Criss Oliva, ou plutôt les talents, car l’homme est un bon compositeur doublé d’un soliste classieux. "Stuck On You" est à ce titre un modèle de concision et d’efficacité : un riff, couplets, refrains, un solo bien posé, une fin qui va bien… rien à redire.
Au final un album qui, s'il ne comporte aucun titre que l’on pourrait réellement qualifier de faible, ne convainc pas totalement. La faute à cette dualité entre un style qui veut s’affirmer pleinement et des influences encore mal digérées qui donnent un enchainement de titres assez incohérent pour un album qui ne décolle jamais réellement. Bref, le style et la classe de Savatage devront patienter encore un peu avant de s’imposer définitivement.