A l’époque, forcément, il fallait choisir son camp. « T’es avec Anathema ou avec My Dying Bride ? », avec, en filigrane, la maxime « If you’re not with us, you’re against us ». A l’époque, entendre 1992-1994, mon dévouement à la bande à Aaron était acquis et je regarde d’un œil méfiant ce Serenades, un peu trop larmoyant à mon goût. Puis My Dying Bride sortit The Angel and the Dark River (beuah !) et Anathema nous offrit Pentecost III (ouais !), et puis les choses se mirent à changer, et à changer, et à changer….
Avec plus de vingt-cinq ans de recul, la raison de ma préférence d’alors pour As the Flower Withers est patente : pour sa première sortie grand format, Anathema est bien plus jusqu’au-boutiste que My Dying Bride. Ces derniers réforment le death metal, le relookent solidement, mais restent quand même, avec leur première œuvre, bien ancrés dans l’univers dessiné par Death, Morbid Angel et consorts. Les frères Cavanagh, eux, s’ils ne crachent pas (encore) sur le growl et les rythmiques plombées, vont, d’entrée, plus loin dans le mélodrame. Pas d’accélérations, on reste au mieux dans le mid-tempo, des guitares binaires : en mode pleureuses ou en mode doom total, et un chant chialé, un peu comme si Rozz Williams avait avalé par accident un litre d’eau de javel, s’aventurant, par accident donc, dans le pays du growl. Darren précède donc Aaron dans le monde des drama queens, soutenu par quelques fort belles voix claires, masculines ou féminines, et bon nombre de passages ou intermèdes acoustiques. Du coup, avec son étonnante pochette, Serenades est LE premier album de metal extrême totalement et absolument romantique, avec le lot de moqueries induites, à l’époque.
S’agit-il pour autant de l’album parfait ? Non. Les Anglais en font parfois trop et des titres comme "They (Will Always) Die", dans une certaine mesure, et surtout "Sleep in Sanity", frisent la caricature et provoquent un certain ennui, en fin de compte. Autre petit souci pour les fans francophones, les paroles de "J’ai fait une romesse" (sans le p, dans le livret) représentent l’avant-garde du google translator dans tout son côté lolesque. Ah la France, so romantic… Néanmoins, la balance entre positif et négatif penche très, très nettement du bon côté. "Lovelorn Rhapsody" nous plonge tout de suite dans l’ambiance romance, "Sweet Tears", le lancinant "Sweet Tears", porte fabuleusement bien son nom, tandis qu'"Under a Veil (of Black Lace)" exploite parfaitement sa lourdeur. Quant à "Sleepless"… ai-je vraiment besoin de parler de ce titre porteur d’une telle émotion et des frissons que provoque le « ouh » de Darren quand arrive le riff à la Metallica ? Ah ben oui, tiens, j’en ai parlé… De plus, et même s’il s’agit peut-être d’une anecdote, eu égard au genre pratiqué, je ne peux passer sous silence mon amour pour "Dreaming (The Romance)", le seul morceau ambient de la discographie du groupe, qui représentent plus de vingt minutes de pure harmonie. Bref, un régal.
Avec ce premier album très novateur, Anathema commence à écrire sa légende. Maladroit et caricatural parfois, Serenades n’en est pas moins un album d’une personnalité incroyable. On en pardonnera même le fameux « La voie le saule s’incline dessus du ruisseau... ». L’œuvre de la phase doom-death du groupe sera parachevée avec l’excellentissime Pentecost III, mais quelle entrée en matière…