Deuxième journée et à nouveau cet agréable constat de voir les entrées sur le festival se faire de manière très fluide vers 10h. Réelle amélioration vraiment, bravo à l’orga qui confirme un peu plus chaque année ce qui constitue l’une de ses plus grandes forces: contrairement aux grosses multinationales de l’entertainment tout juste bonnes à pondre des festivals sans âme et sans autre ambiance que celle que les festivaliers y amènent (coucou Live Nation), le modèle associatif du Hellfest suppose, pour survivre et croître, une véritable écoute des festivaliers et une réelle capacité d’adaptation, passant par des investissements qui sont loin d’être uniquement cosmétiques. Bref, Éternels contents.
Éternels d’autant plus contents que l’un de nous est déjà en place à l’Altar [ndlr: et devinez quoi ? C’est le même qu’hier ! Un fou qu'on vous dit!] pour assister au set de
Vortex of End (10h30 - ALTAR). Sous une chaleur déjà bien présente, même sous les hangars, on fait donc la connaissance des Parisiens dont le dernier album en date est paru il y a deux ans; chacun des présents dans le public sait à peu près quel type de musique va le réveiller en ce deuxième jour. Les bonshommes débarquent torse-nu, corps maculés de sang, bustes ornés de colliers de ratiches putréfiées. Et un trémolo de black léché démarre le set, jetant bel et bien un souffle glacé dans une ambiance par trop alourdie de chaleur. Ce paradoxe contextuel donne un aspect particulier à la poignée de minutes données au groupe qui se promeut face à un public croissant. N’exagérons rien cependant, le combo ne réinvente pas le style, mais parvient à exprimer sa haine de la manière artistique préférée de l'auditoire: du black moderne, aux ambiances puissantes et froides. Le set est vite consommé et fera office de remise en route du moteur diesel du festivalier.
On est également, tout aussi de bon matin, devant
Los Disidentes del Sucio Motel (10h30 – VALLEY - LR
ici). Six ans après leur prestation au Metal Corner, les dissidents reviennent donc au Hellfest pour une courte demi-heure, sur le premier créneau de la Valley. Une belle concrétisation de la persévérance des stoners strasbourgeois, dont la récente direction post-rock/ sludge ajoute de la noirceur à la lourdeur grésillante de leur style de prédilection. Alors que défile en arrière-plan une vidéo «
arty » constituée de scènes hétéroclites et légèrement inquiétantes, le quintet fait résonner ses accords abrasifs sans pour autant en faire des tonnes, parvenant à maintenir une sorte de tension onirique que favorise un son équilibré. Look d'étudiants et mines concentrées, les Alsaciens se montrent plutôt communicatifs, prenant tour à tour la parole pour remercier le public qui ne boude pas son plaisir devant leur solide et agréable performance. Cette dernière s'achève sur une reprise de "Welcome to the Machine" des Pink Floyd, parfaitement intégrée à la sombre mais percutante atmosphère générale. Une excellente entrée en matière en cette longue et torride journée.
On enchaine ensuite directement avec
Monolithe (11h05 - TEMPLE), dont le chanteur déclare après à peine un quart d’heure de set: «
Nous sommes rendus à la moitié du concert et il est déjà temps de jouer notre dernier morceau ».
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Et ouais, qui a dit que les adeptes du funeral doom manquaient d'humour ? La précision du vocaliste n'en est pas moins pertinente, puisque Monolithe s'est fait une spécialité de proposer des pistes d'un quart d'heure tout pile depuis ses deux derniers albums – le respect du timing pour trente minutes de set ne relève donc pas de la gageure. Le titulaire du micro profite de l'occasion pour s'excuser de sa voix défaillante, mais il faut reconnaître que cela ne porte pas préjudice à la prestation du collectif francilien, les vocalises, même en déficit de puissance, se révélant parfaitement audibles et variées – avec une logique prédilection pour le guttural. Dans ces conditions, la seconde moitié du récital ne présente que peu de différences avec la première – les claviers sont froids, les guitares sont lourdes et on ne voit guère que Skepticism, programmé un peu plus tard sur la même scène, pour pouvoir disputer au sombre septuor le record de lenteur de cette édition 2017. Une expérience crépusculaire, à retenter à un horaire plus adéquat.
À peine le temps de souffler et on fonce voir
Slydigs (11h40 - MS2), et le seul truc qu’on aurait à vous en dire c’est «
that's rock 'n' roll, babe ». Voilà, live-report terminé, merci – concert suivant. Bon, plus sérieusement, revenons aux quatre Anglais - oh, pas besoin de vérifier leurs certificats de naissance sur une quelconque biographie en ligne, il n'y a qu'à les observer: cheveux mi-longs, mèches rebelles savamment étudiées, lunettes de soleil rondes à la John Lennon, foulard, veste de cuir marron... Et une gouaille typiquement britannique – les lascars se montrant plutôt bavards et rigolards avec cette espèce de retenue, ce fameux flegme typiquement... Ok, tout le monde a pigé. Sans surprise mais avec talent, le quatuor délivre un rock vigoureux évoquant un croisement entre les Stone(s) - aussi bien Roses que Rolling - et Humble Pie. Mises en valeur par un excellent son, leurs compositions sont portées par un chanteur à la voix réglementairement éraillée-mais-pas-trop. On pourra regretter le peu de variations de tempo et d'harmonies - mais le rock, on le sait, c'est trois accords et basta - tout en se réjouissant lorsque les lads haussent franchement le ton, comme sur l'entraînant "How Animal Are You?" issu de leur dernier enregistrement éponyme. Bref, «
Thank you for this lovely moment spent in your company, gentlemen ».
Très radical changement d’ambiance à présent, puisque pendant que les quatre Grands Bretons faisaient leur rodomontades en mainstage, un autre Éternel est témoin du massacre matinal commis par le trio américain sludge/noise dégueulasse
Primitive Man (11h40 – VALLEY).
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Devant une foule moins éparse et limitée que ce qu’on aurait pu penser vu la raideur de leur musique (pensez Indian, Aseethe, Cult Of Occult, Lesbian, ce genre de saloperies), le gras trio délivre un set d’une brutalité ahurissante, bien aidé par un son clair et surpuissant. Il faut dire que le combo n’est pas le plus compliqué à sonoriser au monde: deux-trois accords max par morceau, aucune note aiguë, une lenteur et une pesanteur infinies, seulement démenties par quelques rares accélérations d’un genre grindcore alourdi et englué, bref, c’est de la pure confrontation physique, c’est parfait pour la Valley, ce groupe est définitivement génial. En termes de setlist, on aura peut-être bien reconnu "Scorn", issue de leur punitif album éponyme, et aussi "Bag Man", issue de leur dernier album, mais très honnêtement on s’en cogne, ce qui compte avec Primitive Man c’est la violence de l’expérience, et elle l'est de manière tout à fait appréciable. Aucune forme de mélodie, aucune pitié: de la musique vraiment extrême.
Et pendant que Slydigs proposait du fun bon enfant, et Primitive Man du fun tout sauf bon enfant, un troisième Éternel assiste lui au deuxième concert du jour à l’Altar. Celui de
Carcariass (11h40 - ALTAR), un des groupes très attendus par vos serviteurs. Le trio arrive en terrain conquis: les pionniers du techno death français ont en effet rempli l’Altar, laquelle attend pieusement le groupe afin de recevoir sa demi-heure de récompense musicale. Le combo ne trompera pas le public et donnera l’un des sets les plus réussis du week-end. Passée une petite distribution promo de T-shirts dans les premiers rangs, la virtuosité jamais vaniteuse du combo va régaler en six titres, et un petit instant bonus «
Spinal Tap » live [ndlr : le son d’une des guitares décidant de se faire la malle pendant quelques minutes], les oreilles du parterre. "Sideral Torment", "Indians Eviction", "Revenger", "Tragical End", "Watery Grave" et un délicieux "Mortal Climb" pour finir, donnent un nouvel exemple du sublime que les musiciens peuvent atteindre lorsque le jeu est quasi-fusionnel. La technique n’est finalement qu’au service du groove lorsque le death sait flirter avec quelques inspirations jazz insolentes. Bien évidemment une heure de set aurait été parfaite mais peu importe, Raphaël, Pascal et Bertrand profitent du retour très nourri du public, et c’est sur une grosse dose de félicité que sont ainsi franchis les seuils du samedi midi et de la petite moitié du festival.
Après toute cette violence, direction les mainstages et le set de
The Dead Daisies (12h15 - MS1) pour laver nos oreilles déjà bien souillées. Aussi Américains que les Slydigs sont Anglais – bandanas, débardeurs et gilet sans manche - les membres du «
super groupe » débarquent pour une petite demi-heure ensoleillée à l'heure de l'apéritif. Réunis autour du businessman, aviateur et accessoirement guitariste David Lowy, des requins de studio – pardon – des pointures quinquagénaires ayant multiplié les collaborations fructueuses balancent leur hard rock aux teintes bluesy en amuse-gueule du plat de résistance promis par Aerosmith en fin de soirée.
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Direct, carré, pro, le collectif égrène quelques extraits de son répertoire loin d'être honteux, mais qui peine à soulever l'enthousiasme. Le public se réveille néanmoins pour faire les chœurs sur "Make some Noise" et son rythme calqué sur celui de "We will Rock you", et salue sans trop se faire prier les allers-retours des musiciens sur l'extension scénique initialement destinées à porter les augustes déambulations de Steven Tyler, auquel le chanteur John Corabi fait irrésistiblement songer vocalement et visuellement - en moins hautain et plus rondouillard toutefois. Quant à Doug Aldrich, il se montre plus détendu que lors de son
passage il y a quatre ans au même endroit avec Whitesnake – dommage que ses parties de guitare, ainsi que les chœurs, soient parfois noyés dans le bourdonnement un peu chargé des amplis, ce qui s'entend particulièrement sur la reprise de "Helter Skelter" des Beatles. Un set pépère, qui risque de ne pas faire le poids dans le souvenir collectif de ce Hellfest face au cyclone en gestation sur l'estrade d'à-côté. Et justement, parlons-en, de cette petite tornade de fun qui s’abat alors sur un festival déjà bien chaud, tornade autrement nommée
Ultra Vomit (12H50 – MS2 – LR
ici).
Mais croyez-le ou non, tous les Éternels ne sont pas scotchés à la mainstage pour assister aux guignolades «
pipi vs caca » des Nantais, l’un d'entre eux est même parti voir
Monkey 3 dans une toute autre ambiance (12h50 - VALLEY). De retour après cinq ans d’absence, Monkey 3 revient devant une foule clairsemée avec son habituel stoner psychédélique. Ici, l’atmosphère créée est aérienne, presque hors du temps, avec la tonne de fumée déversée et les vidéos tantôt psychédéliques, tantôt composées de paysages lunaires, qui s’affichent à l’arrière scène. Tout est fait pour plonger les spectateurs dans un trip, et la qualité sonore aide grandement. La guitare de Boris résonne clairement à travers la tente, tout comme les nappes ambiantes et les soli du claviériste. Parfois la rêverie est coupée par les assauts furieux de la basse et de la batterie, histoire de rajouter un peu de lourdeur au concert et faire headbanguer les festivaliers hypnotisés. D’ailleurs, au niveau présence scénique, il faut bien reconnaître que Boris possède un certain charme, tenant nonchalamment sa guitare et faisant durer certaines notes pour le plus grand plaisir du public. Bref, la classe. Niveau morceaux, les Suisses sont venus défendre leur dernier album
Astra Symmetry et revisiter quelques anciens titres. C’est d’ailleurs l’excellent combo "The Water Bearer / Crossroad" qui entame les hostilités avec son final aérien et ses soli de guitares en finesse. On sent la maîtrise des musiciens et le public applaudit respectueusement.
Les Suisses vont ensuite monter en qualité en proposant l'incroyable "
Icarus" et ses sublimes mélodies de guitare. Longue de quinze minutes, la composition est une réussite totale et son interprétation se termine sous les acclamations d’un public subjugué ! Puis après la chaotique et réussie "Birth of Venus", retour à quelque chose de plus lourd avec la psychédélique et pesante "Through The Desert", issue de
Beyond The Black Sky. Le succès est immédiat, le groupe délivre tranquillement ce dernier morceau avec toujours autant de classe. Et le show se termine, maîtrisé, élégant, trop court, et donne furieusement envie d'en voir plus à Paris en septembre.
Retour aux mainstages ensuite, et difficile a priori pour
Phil Campbell and the Bastard Sons (13h35 -MS1) de passer après le grand raout du nawak made in France, mais l'ancien compagnon de route de Lemmy en a vu bien d'autres au cours de sa carrière, et c'est clairement décontracté du béret que le Gallois entame son set en hommage à Motörhead. Certes, lui et ses fistons - épaulés par Neil Starr au micro - proposent bien quelques compositions de leur cru dont un énergique "Big Mouth" en ouverture, mais la majeure partie de leur setlist est dédiée au répertoire de la formation historique du paternel avec, évidemment, l'incontournable "Ace of Spades" ou encore un "Going to Brazil" dont le swing originel s'est un peu perdu en route. Malheureusement, basse et surtout batterie ont tendance à prendre le dessus, donnant un côté un peu bourrin à une prestation que le chant haut perché ne parvient pas à bonifier - sur le sinueux "Killed by Death" proposé en clôture, ça frise le contresens. Malgré tout, l'envie et l'énergie sont là, et rien que pour voir Phil Campbell porter avec classe un T-shirt «
Joe Satriani » et jouer sur une gratte orné d'un sticker «
No One Is Innocent », ça valait le coup de venir l'encourager lui et sa petite famille.
On retourne ensuite à la Temple pour assister au set d’une des grosses cotes du moment, il s’agit bien entendu du breakcore pété du casque des Français d’
Igorrr (13h35 - TEMPLE). Si sur album la musique de Gautier Serre se pare de toutes les folies possibles, la question du rendu en concert peut se poser. Mais l’histoire de quelques secondes seulement, car c’est sous une Temple blindée que le Strasbourgeois se pose derrière son ordinateur et envoie la sauce avec "Spaghetti Forever", sa rythmique hypnotique et ses moments frôlant régulièrement le pétage de plombs. Et bordel, que ça envoie! Les riffs ultra-lourds et les mélodies débarquent de nulle part, ponctuées par la batterie de Sylvain Bouvier qui apporte une véritable plus-value scénique à tout ce joyeux bordel. D’autant qu’au-delà des délires instrumentaux et des ambiances changeantes, la présence des deux chanteurs propulse le show dans des dimensions stratosphériques. Comment ne pas halluciner devant la gueule peinturlurée bleue et noire de Laurent Lunoir, sa dégaine d’homme des cavernes, son micro en forme de racine et son chant surpuissant passant aussi bien d’un registre d’opéra à des hurlements gutturaux ? Comment ne pas vibrer devant la folie de Laure Le Prunenec, son énergie, son personnage totalement habité, ses va-et-vient un peu partout sur scène, mais surtout son chant intense et envoûtant ? Et bien c’est impossible Mesdames et Messieurs, impossible !
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Alors, on profite d’un show mêlant gros riffs, passages électro, moments néo-classiques ou plages à l’accordéon, le tout baigné par des lumières épileptiques. Les festivaliers headbanguent tandis que Gautier Serre, poing levé, enchaîne les titres efficaces. D'ailleurs, les morceaux de son dernier album seront à l’honneur: le mélange opéra rythmique épileptique d’"Opus Brain", la lourdeur de "Viande", le délire dansant de "Cheval", les émotions écorchées de "ieuD" et son final instrumental absolument jouissif. Bref,
Savage Sinusoid fonctionne à merveille. Bien sûr, certains titres de
Hallelujah et d’autres albums seront aussi de la partie, dont l’immanquable "Petit Moineau". Le concert est intense, plein d’émotions et de folie et, lorsque les trois musiciens se retirent, laissant seul Gautier Serre, c’est sur la drum & bass de «
Robert » qu'Igorrr nous fait ses adieux. Une dernière pirouette pour un concert exceptionnel d'un groupe qui joue avec les codes. Ils reviendront à Paris en novembre et la date ne sera à louper sous aucun prétexte.
Après une telle performance, il est important de respirer un coup… ou pas. Car à peine le concert d’Igorrr achevé, un groupe d’une rare violence s’apprête à démonter l’Altar à grands coups de lattes:
Nails est enfin au Hellfest (14h20 – ALTAR). Après une date annulée en novembre dernier [ndlr : et on s’en mordille encore les moignons, car voir Nails et Full Of Hell dégommer le Point FMR eut sans doute été des plus jouissifs], les Nord-Américains font l’honneur au Hellfest de faire l’aller-retour depuis la Californie pour jouer ce seul et unique concert, leur seul de l’été en Europe. Il leur incombe donc de mettre une grosse taule à tout le monde, et taule il y a. Doté d’un son énorme [ndlr: presque trop, mais les guitares de Nails sont d’ordinaire tellement lourdes et grasses que c’est moins gênant que pour un groupe qui utilise beaucoup d’aigus] et remonté comme une bonne grosse pendule grindcore/hardcore/death/powerviolence, Nails abat l’Altar à coups de grenades nommées "Life Is A Death Sentence", "Wide Open Wound", "You Will Never Be One Of Us", "Savage Intolerance", "Tyrant" ou "Violence Is Forever". En terme d’ambiance dans le pit, on ne déconne plus du tout. Finies les gentilles bousculades, terminés les circle-pits rigolards en trottinant, le public est à l’image du groupe: hargneux et parti pour en découdre. Les mosh se font brutaux, le pit s’élargit de morceau en morceau, et les circles-pits tournent à cent à l’heure. L’apothéose est atteinte sur le dernier titre du concert, l’imparable hymne hardcore lourdissime "Unsilent Death", repris comme un seul homme par une Altar déchainée et crachant la poussière. Le groupe, qui se sera montré étonnamment chaleureux et sympathique entre les morceaux - notamment Todd Jones, qui ressemble de plus en plus à Phil Anselmo - au vu de sa réputation «
bully bro-core », a clairement réussi son coup. Et pour ceux qui préfèrent éviter de se faire péter la gueule, il est également possible de rejoindre, sur le même créneau, la mainstage.
Il ne faut alors pas trente secondes pour comprendre de quelle maladie
The Treatment (14h20 - MS2) entend préserver les membres de l'assistance: la narcolepsie. Foin de sprays et de cachetons, les Britanniques proposent un remède direct et sans ordonnance pour gonfler le taux de dopamine des spectateurs, à savoir une décharge d'énergie maximale. Le batteur mis à part, et encore, les musiciens n'auront de cesse de courir dans tous les sens avec force harangues et mimiques, tout en assénant un hard rock survitaminé très proche de ce que proposaient AC/DC et Skid Row durant leur période faste. Certes, les postures et grimaces de Tagore Grey, le lead guitariste beau gosse et de son compagnon au micro flirtent dangereusement avec la caricature – disons-le tout net, ces types sont des poseurs ultimes. Mais le dynamisme et l'entrain de ces cinq-là sont tellement communicatifs qu'il est tout simplement impossible de ne pas se laisser emporter par l'ouragan que ces derniers déclenchent au fil des morceaux. Ceux-ci se succèdent sans temps mort, servis par une interprétation de haut niveau malgré la chorégraphie furieuse des instrumentistes. Et bien que la stridence des puissantes vocalises de Mitchel Emms, en rescapé de la version bristish de The Voice, aurait pu se révéler néfaste, elle constitue a contrario un élément décisif dans la recette percutante élaborée par la section de Cambridge. L'affaire se termine sur un "Drink Fuck Fight" («
les trois choses qu'on préfère ») aussi explicite que sur-boosté, à l'issue duquel le chanteur et le bassiste au bandana se jetteront dans la foule pour une séance de crowdsurfing. À notre connaissance, seul ce dernier est parvenu à remonter sur l'estrade.
Le vigoureux périple se poursuit, sous un soleil de plomb, avec les vétérans de la scène rock alternatif vaguement grunge US,
Ugly Kid Joe (15h05 - MS1), qui cultivent depuis leurs débuts une image de gentils branleurs. Ils ne dérogeront pas à la règle en ce samedi après-midi brutalisé par un soleil tout puissant, qui doit leur rappeler la Californie dont ils sont originaires. «
Puissant » n'est toutefois pas le qualificatif qui vient à l'esprit en premier, ni en deuxième, à l'écoute de ce récital détendu du bermuda. Les mecs déroulent tranquillement leurs morceaux façon best-of, avec les incontournables "Neighbor", "Cat's In The Cradle" - une reprise du folk singer Harry Chapin - et le giga tube "Everything About You" dont le succès délirant leur procura fortune et célébrité en 1991, année pourtant déjà bien chargée sur le créneau des chevelus à grosses guitares qui cartonnent (Nirvana, Mr Giant, Metallica, Guns 'n' Roses, Extreme, etc). Surfant sans vergogne sur leur gloire passée, les vieux garnements ne prennent même pas la peine de défendre leur dernier album sur scène, n'en conservant qu'une... reprise, celle d'"Ace of Spades" qui retentit pour la deuxième fois cette après-midi sur la MS1, deux heures après la version familiale de Phil Campbell. Ce sera la séquence la plus énervée du set qui, pour le reste, se déroule tranquillement, entre hard rock mélodieux et blagues potaches. Au bout de cinquante minutes, les quinquagénaires quittent l'estrade binouzes à la main – le batteur révélant ses cuisses poilues ainsi qu'un slip bleu et rouge à pois blancs des plus seyants. C'est probablement ça, la classe américaine !
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Après ce sympathique moment en compagnie de Joe le Gamin Moche, on assiste, pour équilibrer le ratio esthétique des mainstages, au récital des Jolies Soubrettes. Enfin, de
Pretty Maids quoi (16h00 - MS2). Les heures passent, la durée d'exposition et la moyenne d'âge augmentent: c'est l'heure de la séquence heavy tradi sur la grande estrade. Après trente-cinq ans de carrière, les Pretty Maids se contenteront-ils d'aligner leurs vieux tubes en mode jubilé ou vont-ils montrer que la vigueur de leurs débuts héroïques ne les a pas quittés ? Réponses A ET B. Panachant en parts égales classiques et titres plus récents, dont deux issus de
Pandemonium, l'album du retour aux affaires sérieuses en 2010, les Danois cherchent manifestement à satisfaire toutes les composantes de leur public. Et ils y parviennent avec aisance, affichant un entrain évident à défaut d'un dynamisme échevelé – inutile dans ce domaine d'espérer rivaliser avec les surexcités de The Treatment, tant ceux-ci ont mis la barre trop haut. Pour autant, le chanteur Ronnie Atkins tient bien la scène, qu'il arpente de long en large pendant les cinquante minutes du concert tout en exhortant l'assistance à manifester son allégresse. Ses compagnons se montrent indéniablement moins mobiles – pour des raisons évidentes s'agissant du batteur et du préposé au clavier [ndlr: encore que son confrère de Betraying the Martyrs a prouvé que l'immobilisme des joueurs de synthé n'était pas une fatalité]. Mais leur interprétation de la dizaine de morceaux proposés en cette après-midi torride ne souffre d'aucune défaillance notable, même si les claviers peinent parfois à se faire entendre. Pour autant, la formation scandinave ne lâche rien en terme d'intensité et obtient ses succès les plus probants sur ses
compositions de jeunesse, les euphorisants "Back to Back", "Red Hot and Heavy", ou encore "Rodeo". Le blond vocaliste assure avec puissance sans sacrifier la mélodie, comme à ses plus belles années, et son vieux complice Ken Hammer au look improbable mi cow-boy mi biker aligne les moments de bravoure à la six-cordes sur un rythme majoritairement soutenu, rassurant les fans sur sa capacité à tenir la cadence. La très convaincante prestation des compatriotes de
King Diamond s'achève sur un "Future World" tendu comme la jambe de Cyril Rool avant un tacle, conclusion idéale d'une prestation qui laisse à penser que Pretty Maids a décidément conservé une bonne réserve de niaque.
On enchaine en vous proposant un petit instant «
deux salles deux ambiances ». À ma gauche, les inénarrables
Steel Panther (16h55 – MS1 – LR
ici). Et à ma droite, changement de climat total avec
Skepticism (16h45 – TEMPLE). Car tandis que Steel Panther prêche le péché et la débauche dans le joyeux temple du vice qu’est la scène principale extérieure, l'ambiance est au deuil et au recueillement du côté du (vrai) Temple.
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Ce sont en effet les apôtres du funeral doom Skepticism qui y officient en ce milieu d'après-midi. Cachez donc ce sein que je ne saurais voir, et venez prier avec nous. S'il y a bien une chose de sûre, c'est que la performance du quatuor anglais peut tout sauf nous laisser sceptiques - oui, il fallait la faire celle-là… [ndlr: vraiment? Le fallait-t-il ?]. Vêtus comme aux funérailles, tirant des têtes d'enterrement raccord avec le thème, les Finlandais vivent à fond (!) leurs obsèques. Le chaland sera sans aucun doute ébahi en premier lieu, mais le talent des musiciens fait rapidement opérer la magie. On est littéralement bercé par le tempo larghissimo des compos, à tel point que l’horaire aidant, on se retrouve vite assis, puis allongé pour écouter les réquiems présentés. Un spectacle assez inouï car tout le monde a à peu près la même idée, si bien que la moitié de la tente est jonchée d’auditeurs se prélassant dans l’herbe au doux son des mélodies de l’au-delà. Un peu de repos au festival de l’Enfer et un peu de douceur dans ce monde de brutes : qu’on connaisse ou pas, Skepticism fait forte impression.
Suite à ça, on s’échappe enfin un peu des mainstages - et des funérailles - pour aller assister à un peu de metal après ces presque trois heures de dépravation hard-rock ! Et quoi de mieux que les Polonais de
Decapitated (17h40 - ALTAR) pour nous remettre dans le droit chemin de la violence? Même si le line-up du combo, frappé par la tragédie en 2007, a connu de nombreuses évolutions depuis l’époque
Winds Of Creation, les connaisseurs ne s’y trompent : l’Altar est très correctement blindée pour la venue de ceux qui restent une des grosses références de la scène death européenne. Si le changement de style opéré vers davantage de simplicité et de modernité, de groove et même de mélodie depuis
Carnival Is Forever, achevé sur
Blood Mantra, et encore accentué par
Anticult, n’a pas plu à tout le monde, il n’en demeure pas moins que le quatuor reste une bonne machine à tabasser sur scène… et qu’il ne fait pas la connerie d’oublier ses fans old-school. On aura donc évidemment droit, à mi-concert, à un "Spheres Of Madness" (à jamais l’un des meilleurs morceaux death de la Création, et c’est non-négociable) toujours aussi punitif et technique, bien qu’un peu desservi par un son relativement bordélique. On aura aussi droit à "Mother War" juste avant, et à "Day 69" et "Post Organic". Voilà pour les vieilleries. Pour le reste, la tuerie
Blood Mantra est à l’honneur avec l’ultra brutale et directe "The Blasphemous Psalm To The Dummy God Of Creation", les tubes "Nest" et "Blood Mantra", et même "Instinct" [ndlr: oui, mais moi je voulais "Veins"]. Bref, pas de bol pour les fans de
Winds Of Creation et
The Negation. Pour le reste, le son est moyen mais s’améliorera quelque peu en cours de set, le groupe en lui-même se montre énergique et ravi de l’accueil réservé, et on aura même "Never" pour gâterie, issu du nouveau bébé des Polonais,
Anticult. Bref, sans en faire des tonnes, Decapitated a assuré et souligné sa prééminence au sein de la scène death européenne.
Et comme l’équipe n’en a visiblement pas assez de prendre des coups de soleil aux mainstages en ce torride samedi après-midi (mais attendez demain), on fonce voir
Dee Snider (18h00 - MS2), sans Twisted Sister. Programmé à la dernière minute ou quasiment, en remplacement de WASP, l’ancien leader de feu Twisted Sister fait son retour en solo, un an après son passage au même endroit lors de la tournée d’adieu du légendaire groupe de heavy américain. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il a encore du coffre, le bougre ! Vêtu d’un ensemble de cuir rouge alors que la température dépasse allègrement les trente degrés, le chanteur présente son dernier album
We Are The Ones, dont les titres sont plutôt bien adaptés à l’événement. Énergiques à souhait et portés par un frontman dans une forme incroyable, ils donnent clairement envie d’y jeter une oreille au retour du Hellfest. Le vocaliste rendra également hommage aux légendes du metal disparues trop tôt, notamment Chris Cornell, et chantera "Outshined" de Soundgarden en son honneur. Il consacrera aussi et surtout une longue partie de son concert à faire du fan service - c’est ce qui marche le mieux, il aurait tort de s’en priver. Après un monologue politique sur «
les gens qui veulent s’en prendre à notre mode de vie » (sic), démarre un long "We’re Not Gonna Take It" en deux parties, d’abord plutôt intimiste, mené uniquement par le clavier et la voix rocailleuse du sexagénaire frisé (version présente sur l’album), puis enchaîne sur la célèbre version originale, reprise en chœur par un public plutôt ravi. Il en sera de même pour "I Want To Rock", qui fait toujours son petit effet ! Les deux morceaux cumulés occuperont quasiment quinze minutes du concert, qui se finira par "So What", preuve si besoin que le gaillard a encore bien l’esprit de la rébellion en lui. Un très bon moment de heavy/rock par une de ses légendes, toujours au top plus de trente ans après.
Et après le vieux briscard US, et juste avant que ne vienne le tour des vieux briscards d’ici [ndlr : Trust quoi], petit détour par les tentes pour voir
Turisas (18h35 – Temple – LR
ici). On switche ensuite sur le moment «
nostalgie et rock français troisième âge », aka
Trust (18h55 - MS1 - LR
ici), sommet dans la catégorie du foutage de gueule [ndlr : coucou, les ondes hertziennes qui en ont vanté les mérites à corps et à cri au détriment de ce qui est réellement digne d'intérêt !], puis on court enfin voir l’une des contre-programmations les plus intéressantes de cette édition,
Chelsea Wolfe (19h40 – VALLEY). La grande Prêtresse des Ténèbres célèbre lors de cette édition 2017 sa grande première au Hellfest. Bénéficiant d'un horaire idéal et d'un temps de jeu conséquent, la diva est attendue de pied ferme par son public de fans envoûtés, unanimement acquis à sa cause. Il faut avouer que depuis ses deux dernières sorties,
Pain In Beauty et
Abyss, la louve a su drainer de nombreux metalheads dans son sillage, grâce à un coup marketing bien négocié (coucou
Game Of Thrones), une imagerie «
brune ténébreuse mal dans sa peau g0tik 2.0.17 » qui a séduit sans mal nombre d'ancien.ne.s ados dépressif.ve.s, et une collaboration avec Russian Circles qui aura convaincu le dernier hipster réfractaire.
Toujours est-il que notre chroniqueur en place admet rejoindre sur certains points une partie des «
haters », trouvant la popularité exponentielle de Chelsea Wolfe un peu «
overrated » dans l'ensemble. Ceci étant dit, place au live. Et il faut bien avouer que l'Américaine sait tenir la scène. Grande et fluette, elle occulte sans mal ses musiciens, tous les regards convergeant vers elle. Déjà entrevue à une autre occasion en festival, Chelsea Wolfe marque de nombreux points sur un autre domaine: le son. Grave et puissant, intense et organique, largement plus metal que sur album, les ondes produites à l’unisson par les guitares, la basse et la batterie sont un régal. Si les musiciens sont visuellement en retrait, leur performance n’est pas en reste ! En particulier, la batteuse possède une frappe d’une énergie incroyable, donnant une dynamique bien supérieure à certains titres comparée à celle, plus électronique, des versions studio. Si le denier album
Abyss est naturellement le plus représenté dans la setlist, deux inédits-live nous sont offerts - dont le single déjà paru "16 Psyche" - du prochain opus de l’artiste. Une très bonne surprise en somme - Chelsea Wolfe possède vraiment une voix hors du commun, admettons-le honnêtement - avec des compositions se bonifiant en live et une présence scénique au top: c’est donc d'un franc «
oui ! » que nous saluons la prestation.
Retour à une ambiance plus classiquement metal, puisque c’est
Soilwork qui attaque (19h40 – ALTAR). Auteur d’une prestation de haute volée il y a trois ans, Soilwork revient au Hellfest en «
access prime time » pour donner à l’Altar sa dose de death mélodique. Comme à son habitude, Speed en impose par son charisme et ses capacités vocales au-dessus de la norme. Il semblera quand même emprunté lors des passages les plus aigus, forçant plus qu’à l’accoutumée et peinant légèrement. Qu’à cela ne tienne, le géant tient son rang et ne s’économise pas le moins du monde tout au long de la prestation. Il se permet même une blague sur l’absence de claviériste pour la soirée, en disant qu’il a rejoint l’ancien bassiste du groupe [ndlr: qui avait été victime d’une
mémorable chute à travers la scène lors de leur précédent passage à Clisson]. L’énergie est au rendez-vous et la setlist explore toutes les époques du groupe, même les plus anciennes grâce aux frénétiques "Chainheart Machine" et "Bastard Chain", génératrices de circle-pits et d’arthrose cervicale depuis le tout début des années 2000. Le son est malheureusement un peu décevant et l’on peine par moments à distinguer les lignes et soli de guitare, ce qui ne rend pas justice au travail forcené de David Andersson, clope au bec pendant une partie du concert, et de Sylvain Coudret [ndlr: ex-Scarve], particulièrement dynamique sur scène. Les morceaux s’enchaînent, le pogo est présent, les riffs assassins et les refrains puissants aussi, et après le classique "Stabbing The Drama" final, les Scandinaves quittent les lieux sous un tonnerre d’applaudissements.
On passe ensuite sous la tente d’à côté, où le shoegaze plus ou moins blackisant (ça dépend des albums) d‘
Alcest nous invite au voyage et à la rêverie (20h45 – TEMPLE – LR
ici). À l’autre bout du festival, l’ambiance est toute autre, et surtout autrement plus vindicative, puisque c’est
Comeback Kid, un habitué du Hellfest (troisième passage sauf erreur) qui vient offrir à une Warzone sérieusement en manque de gros hardcore US en cette édition, sa proverbiale kermesse (20H45 – WARZONE). Festival de poings en l’air, de chœurs tough guy hurlés, mosh, circle-pits, le tout sous une météo qui commence enfin à se faire un brin plus conciliante en termes de fraicheur: bref, le parfait petit apéro hardcore. Le quintet canadien est égal à lui-même, plein d’énergie, content d’être là. Maître de son sujet, il réveille une Warzone un peu assoupie par la chaleur et la poussière du jour, et commence à promouvoir son nouvel album qui sort en septembre et que le groupe viendra défendre à Paris en novembre [ndlr: avec Higher Power, Knocked Loose et The Great Divide]. On aura même le droit (sauf erreur) à un nouveau morceau : "Absolute", lequel n’annonce étonnamment pas de grand chambardement stylistique dans la musique, il est vrai assez scolaire, mais tellement parfaite dans le genre, des canadiens. Au niveau du reste de la setlist, rien de bien original non plus, mais des pelletées de tubes d’excellent hardcore à ne plus savoir où mosher de la tête: la fantastique et fédératrice "G.M Vincent And I", les classiques "Didn’t Even Mind", "Wasted Arrows", "Should Know Better", "Die Knowing", mais également "Broadcasting" (mais pas "Defeated", hélas), une poignée d’autres encore, et évidemment la sempiternelle "Wake The Dead" en clôture, avec son refrain qui fonctionne toujours à merveille pour soulever les foules. Bref, un peu à l’image de la scène qu’il représente, Comeback Kid délivre un set sans surprise mais ultra-efficace et surtout, jamais convenu, vu le cœur que toute cette fine équipe de gardiens du temple hardcore y met.
Après ce brave défouloir, deux options s’offrent à nous, et comme on est des fous, on choisit évidemment les deux. D’un côté, direction la mainstage pour assister à un bon gros show bien simpliste, fédérateur, fun et bas du front : on parle évidemment du «
meilleur clone jeune mais plus tant que ça » d’AC/DC:
Airbourne (21h05 - MS1 – LR
ici). D’un autre côté, retour vers les chapiteaux dédiés au metal pour assister au set des expérimentés
Pain Of Salvation (21h50 – ALTAR – LR i
ci). Pendant que la bande à David Gildenlow envoûte l’Altar, un autre genre de sorcier officie sous la Valley.
Deuxième grosse contre-programmation du jour, et sans doute l'une des plus belles du festival [dlr : on ne le dira jamais assez, mais cette scène c’est de l’or en barre]: ce n’est rien de moins que
Primus (21h50 – VALLEY), pour la première fois invité au Hellfest. De fait, voir Primus, ça ne se refuse pas ! Le trio entre en scène sur "Clown Dream" de Danny Elfman, sous les hurlements du public d’une Valley giga blindée. Et dès les premières notes de "Those Damned Blue-Collar Tweekers", on comprend que les Américains vont nous livrer un show hallucinant. Les lumières sont ultra-travaillées, suivant rigoureusement les passages les plus complexes, pétaradant de milles couleurs lorsque les morceaux deviennent plus rock. Les animations en arrière-plan ajoutent un peu plus à l’aspect hautement hallucinogène et fou de la musique : ces dessins animés angoissants, ce lapin/homme géant jouant de la contrebasse tout en se dandinant les fesses ("Frizzle Fry") ou bien encore cette casserole dotée d’un visage qui chante... Bref, niveau barré on est servi et on en prend plein la vue. Et cela va de même pour les oreilles, avec un Les Claypool en pleine forme, maîtrisant sa technique à la perfection et s'adonnant même à la contrebasse sur un morceau. Du grand art devant lequel on ne peut qu’écarquiller les yeux et applaudir, d’autant que le public, un mix entre connaisseurs et musiciens venant pleurer devant la technique du trio, réagit vivement en hurlant, tapant des mains, headbanguant. Un regret cependant: la voix de Les Claypool se révèle parfois difficilement audible, noyée parmi les instruments dont le son est au demeurant impeccable. Dans le registre, on peut aussi signaler que le groupe reste un peu froid, ne parlant presque pas au public. Il est aussi parfois difficile de suivre tous leurs délires techniques qui, par moments, empêchent même d’adhérer totalement aux morceaux. Mais voir Primus, cela reste surtout le souvenir d'images souvent folles. Et parmi celles-ci, la fin du concert laissera des impressions impérissables. La prestation sur "My Name Is Mud" est hallucinante, avec un Les Claypool slappant comme un Dieu et jouant avec un public hurlant entre chaque «
riff » . Enfin, "Jerry Was A Race Car Driver", avec son groove malsain, finira de convaincre l'auditoire qu'un concert de Primus n’est décidément pas un show comme les autres. Impressionnant.
Difficile de tenir la comparaison pour la formation évoluant sur la mainstage, à savoir
Apocalyptica (22h20 - MS2). Quel festival tout de même, que ce Hellfest, où il est possible de voir, en moins de deux heures, des trucs aussi diamétralement opposés que Primus, Apocalyptica, Airbourne ou encore Pain Of Salvation…
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Mais revenons à notre quatuor de violoncellistes: franchement sur le papier, deuxième jour + nuit (ça veut dire un peu de frais et d’embruns) + un groupe atypique qui a fait parler de lui il y a vingt ans en sortant des reprises des standard de Metallica au violoncelle, ça pouvait pourtant le faire ! La tournée et la date du Hellfest sont d’ailleurs dédiées à l’anniversaire de cette sortie. Hélas - et on se s’étendra pas - la prestation prendra la forme d’une déception remarquable. Non seulement pour ceux qui découvrent la formation, en raison d’un son ne rendant absolument pas service aux instruments, mais également au peu de présence du groupe durant le set. En bref, hormis quelques titres repris plus pour le fun qu’autre chose, un peu partout dans le public, par un tas de gens déjà bien éméchés, la déception est réelle [ndlr : l’est-elle réellement tant ce groupe est… enfin bref !].
Heureusement, un autre collectif tout aussi original mais infiniment plus élégant se produit à la Temple et nous permet de débarbouiller nos oreilles endolories par l’épreuve apocalyptique. Il s’agit de
Wardruna (22h55 – TEMPLE). Changement d’ambiance total donc, et véritable trip dans l’ère Viking, un trip des plus calmes et mystiques précisons-le, car la musique des Norvégiens se veut avant tout méditative. Pour cela, la scène a été travaillée jusqu’aux moindres détails et avec une grande élégance. On est tout d’abord frappé par la beauté des ombres se reflétant sur l’arrière de la scène, couverte d’une toile blanche tachetée de noir. Les flammes cernent de part et d’autres le groupe tandis que la musique s'offre à un public fasciné: lente, lancinante, incantatoire. La voix gutturale de Kristian Espedal [ndlr : sosie officiel de Ragnar Lothbrok officiant également au sein des non-moins classieux Skuggsja avec ses comparses d’Enslaved] succède à celle de Lindy Fay Hella, et par moments des chœurs surgissent de nulle part tandis que la lumière se teinte de violet ou de rouge. C’est beau, c’est prenant et on se trouve vite emporté par les nombreuses percussions (deux musiciens) et instruments traditionnels comme la corne de bouc, la harpe, la guimbarde ou encore la flûte à os. À cela il convient d'ajouter la forte présence des violons, ajoutant une touche mélodieuse aux compositions. Plongée dans un trip crédible, projection dans un passé vieux de plus de neuf-cents ans, lorsque les Vikings sillonnaient les mers… Tout à coup, Lindy se met à hurler, la musique quant à elle devient plus lourde et chaotique, les lumières épileptiques, réveillant les festivaliers... Puis tout revient à la normale. Pendant une heure, les Norvégiens délivrent ainsi un show maîtrisé, hors du temps, proposant une expérience agréable et totalement dépaysante au Hellfest. Il ne s'agit pas réellement d'une contre-programmation vu l’appétence générale des metalleux pour la Scandinavie et sa culture, mais clairement d'un moment à part, magnifié par la plus belle scénographie de cette édition.
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Difficile de tenir la dragée haute à un tel voyage et les choses s’annoncent compliquées pour le groupe qui passe après… Sauf quand le groupe en question se nomme
Opeth (00h00 – ALTAR). Autant on peut ne pas être fanatique des dernières orientations intello/proggy/seventies des Suédois [ndlr : c’est notre cas et on pleure chaque jour
Morning Rise ou
Blackwater Park, comme des vieux cons-ervateurs], autant il faut bien reconnaître qu’en matière de live, Opeth fait très rarement de la merde (et
on l'a souligné naguère). En général et où qu’il soit, le groupe assure, est doté d’un des meilleurs son du festival, ce qui sera encore le cas ici, et Åkerfeldt se montre aussi brillant que sur album. Il se montre aussi, en général, incorrigiblement prolixe et taquin entre les morceaux, ce qui a tendance à bouffer une petite partie du set de son groupe, et quand on a qu’une heure pour jouer, qu’on cause deux minutes entre chaque morceau et que les compositions durent en moyenne huit-dix minutes… Bref [ndlr : bah non, justement !]. Mais assez miraculeusement, ce ne sera pas trop le cas cette fois-ci, le bon sieur s’en tenant à quelques paroles pince-sans-rire dont il a le secret, pour se consacrer à l’essentiel: donner de la joie à une Altar évidemment blindée à ras bord pour l’occasion, et conquise d’avance - la foule débordant sous la Temple voisine, avait-on déjà vu ça ? Niveau setlist, ne rêvons pas non plus, pas de
Blackwater Park, de
Morning Rise [ndlr: verrons-nous un jour "Black Rose Immortal" jouée live ? Rien n’est moins sûr] ou de
Still Life en vue, mais du solide néanmoins. On ne coupera pas à deux morceaux de
Sorceress, l’éponyme et "Era", mais ceux-ci le font nettement plus en live que sur album avec un rendu bien plus lourd et puissant, tout en conservant une belle clarté. On aura également le droit à "Ghost Of Perdition", ce qui fait toujours plaisir, "Cusp Of Eternity" issue de
Pale Communion, l’excellente "Heir Apparent" issue de
Watershed, et surtout le monstre "
Deliverance" en clôture. Eh, c’est déjà ça! Bref, un set axé sur les derniers opus du groupe [ndlr: sauf pour le grand battu du jour,
Heritage, et on ne s’en plaindra guère], ce qu’on peut évidemment comprendre, tout en chouinant de ne pas avoir eu le droit de devenir foufou sur un petit "Bleak" ou un lourd "Demon Of The Fall". Pour le reste, difficile d’affirmer qu’il existe un groupe plus en place, plus en maîtrise, bref, plus à l’aise qu’Opeth sur scène. Les musiciens sont tous excellents et le bon Åkerfeldt est juste l'un des tous meilleurs frontmen de la scène, si ce n’est le meilleur. Ses growls demeurent aussi profonds et gras que par le passé, son chant clair est parfait, bref le mec se balade et Opeth délivre un set sans fausse note. Un de plus. Et de toute évidence, il va encore falloir être très solide pour assurer derrière de tels darons.
Mais ce n'est pas trop un problème pour les increvables
Kreator (01h00 - MS2). Le groupe qui, depuis quelques années, est en parfaite roue libre, limite les nouvelles sorties LP [ndlr: un tous les quatre-cinq ans en moyenne depuis 2001] et favorise les tournées continues autour du globe, rappelant que le thrash n’est pas qu’une musique du passé. Bien évidemment, le style est largement éprouvé et peu ou pas renouvelé malgré quelques groupes novateurs - comme
Vektor - ou quelques jeunes loups affamés maîtrisant parfaitement le style mais labellisés old-school. Au sein de ce relatif marasme musical, le thrash allemand suit son chemin, d’un Destruction à un Tankard en passant ici par les porte-drapeaux du genre. «
La bande à Mimile » (aka Mille Petroza) connaît son boulot, et malgré l’heure très avancée, va profiter de l’occasion pour mettre à profit son matériel plutôt habitué aux salles.
Gods of Violence, le dernier LP à promouvoir, est mis en avant dans une setlist au sein de laquelle Kreator distille aussi les grands classiques tant attendus en festival. De la pyrotechnie tout feu, tout flamme, toute fumée, et des canons à confettis complètent les projections backdrop pour soutenir les messages politisés et revendicatifs du bon Mille. Les quelques dizaines d’années au compteur n’ont pas calmé les Germains, qui grignotent peu à peu les marches du panthéon du thrash, et a fortiori du metal. Un set joué au meilleur moment car laissant sur le carreau les soiffards et les fatigués, pour permettre aux plus intéressés de goûter le spectacle. La fosse se moque d’ailleurs bien de l’horaire, enchaînant circle-pits et wall of death sans retenue. Une très bonne tisane musicale avant de retrouver son sac de couchage pour quelques heures de répit…
Mais pas si vite, car avant de s’en retourner aux divers plumards ou au Metal Corner pour se la coller un peu plus, hors de question de louper les deux derniers sets du jour. On trace donc voir
Suicidal Tendencies (1h05 - WARZONE), avec un gros bordel annoncé pour l'ultime prestation du samedi sur la Warzone puisque Cyco Miko et son «
crou » [ndlr : ça va loin la francophonie !] réquisitionnent la scène. Est-il nécessaire de s'appesantir sur la setlist ? Très honnêtement, hormis les aficionados ultimes de Suicidal Tendencies capables de s'envoyer
13 dans sa totalité et sans couper le son, il y a peu de chances que l'identité des morceaux interprétés en cette chaude nuit clissonnaise intéresse grand monde dans le public. Les esprits taquins rétorqueront qu'il en va de même pour une grande majorité des concerts donnés à la Zone de Guerre qui se résument à un dawa de bout en bout [ndlr: assertion absolument scandaleuse !], mais il convient tout de même de noter que la formation nord-américaine fait la part belle à ses premiers efforts en studio, vieux de trois décennies, en jouant plusieurs titres du premier LP notamment tandis qu'elle néglige ses sorties les plus récentes - un seul extrait de
World Gone Mad, voilà qui risque de ne pas donner très envie à celles et ceux qui l'avaient loupé d'écouter le dernier album paru en 2016 [ndlr: ne le faites pas, ça n’a aucun intérêt].
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L'ambiance est donc résolument hardcore, en conformité avec le code vestimentaire des musiciens - shorts longs, grosses baskets, grosses casquettes, T-shirts extra-larges et bien sûr l'emblématique bandana de Mike Muir, le frontman et unique membre permanent de la section californienne. Le vétéran n'aura de cesse d'électriser l'assistance en balançant ses prêches à forte teneur politique, pendant et entre les morceaux, avec une fougue juvénile qui semble ne l'avoir jamais quitté tant il se dépense sans compter, déambulant dans tous les recoins de l'estrade. Autre point positif, le détenteur du micro se cantonne dans un registre parlé-modulé-hurlé, renonçant à ses intonations mielleuses de sinistre mémoire, en cohérence avec le son à la fois compact et acéré qu'assènent ses camarades dont un jovial Dave Lombardo qui bastonne ses fûts avec une aisance et une précision guère étonnantes (mais toujours aussi impressionnantes) de la part de l'ancien Slayer. Renforcé par un batteur de cet acabit, le collectif peut difficilement se manquer, et comme les types branchés sur ampli sont loin d'être manchots, ce ne sera effectivement pas le cas. Car bien que ces derniers se montrent moins remuants que leur leader, leur vélocité instrumentale est directement responsable de l'état d'émeute permanent qui règne au sein de la foule, dont les mouvements quasi ininterrompus pendant les soixante minutes de la prestation du gang de Venice soulèvent un conséquent nuage de poussière qui ne retombera qu'à l'issue d'un "Pledge your Allegiance" sur-intense au cours duquel les roadies investiront les planches pour offrir une séance de body surfing à l'une des leurs. Spectateurs rincés, gros bordel validé.
Bon, cette fois-ci on rentre se coucher pas vrai ? Presque ! Avant cela et en parallèle du set de Suicidal, quelques vaillants Éternels sont encore debout à l’autre bout du fest, pour écouter non pas Kreator, mais bien
Deafheaven (01h05 – TEMPLE)
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Subir plutôt qu'écouter, d'ailleurs. Car pour clôturer ce deuxième jour, le combo américain spécialisé dans le post-black metal atmosphérique va hélas offrir une prestation bien en-dessous de ce qu’on pouvait espérer. La faute à une batterie toujours plus forte qui écrase tout le reste, de guitares mal mixées et un son très moyen, mais surtout un chanteur au jeu de scène terriblement maniéré qui vient quelque peu gâcher le show. Enchaînant les moulinets de tête, les mouvements de bras dans tous les sens, arpentant sans cesse la scène, le chanteur semble certes assez possédé mais trop démonstratif. Son chant est de plus trop souvent masqué par les instruments, ce qui contribue également à gêner l’immersion nécessaire. Pourtant, l’ambiance sombre et les éclairages bleus et verts créent une atmosphère sympathique, mais la musique ne suit pas. Les passages calmes sont plutôt bien rendus mais dès que le rythme s’énerve, l’association chanteur insupportable – mauvaise qualité sonore empêche tout plaisir de pointer le bout de son nez. Les morceaux se succèdent, le public se disperse au fil du concert, et la journée se termine sur une indéniable déception.
… Et cette fois-ci, c’est la bonne, on rejoint enfin nos pénates afin d’être à peu près d’attaque pour la dernière journée du fest, dont la programmation alléchante mérite qu’on ne se pointe pas sur site à quatorze ou quinze heures.