Traverser 30 ans de musique en gardant sa propre identité et en gardant un esprit créatif, sans lasser son public, n’est pas donné à tout le monde. C’est pourtant ce qu’a réussi Camel. Après un premier album éponyme en 1972, en plein essor du rock progressif, au milieu des 2 piliers Genesis et Yes, le groupe est monté en puissance, avec, notamment, quelques chefs-d’œuvre, tels Mirage, The Snow Goose et, plus récemment, le somptueux Dust and Dreams, paru en 1992, soit 7 ans avant Rajaz. Et ça n’est là qu’une parcelle de leur discographie pour le moins fournie, et qui vient démontrer que quantité peut rimer avec qualité, même si, comme pour tant d’autres, elle n’est pas exempte de tout reproche.
Mais, au fur et à mesure des années, tandis que Yes ou Genesis ont fini par décliner sérieusement et à se perdre dans un manque d’inventivité pour l’un, et une mutation pop commerciale pour l’autre, Camel est resté fidèle à son étiquette progressive et à ses racines, tout en parvenant à se remettre en questions aux moments opportuns, pour ne pas s’essouffler. La bande est menée de main de maître par le très talentueux Andy Latimer, qui, en plus de ses qualités vocales et guitaristiques, officie aussi en tant que flûtiste au sein du groupe. Et cet homme à tout faire ne s’arrête pas là puisqu’il se permet également de participer à certaines parties de clavier et de batterie ! Vous avez dit Génie ? C’est donc après un petit creux de 7 ans, durant lequel il n’est pas sorti grand-chose du paquet de Camel (oui je sais c’est facile :D ), que nous arrive l’album en question : Rajaz.
C’est sur l’intro typiquement Floydienne, de "Three Wishes", que s’ouvre l’album. Après un peu plus de 2 minutes d’un calme planant qui n’est pas sans rappeler "Shine On Your Crazy Diamond", on retrouve l’efficacité terrifiante de Camel qui nous fait jaillir ses parties instrumentales reconnaissables entre mille, avec cette rythmique décapante, accompagnée de l’indispensable flûte et d’une guitare généreuse sur le vibrato. En fait, ce morceau me fait souvent penser à une éruption volcanique, de part le calme qui précède un court intermède de montée en puissance, puis l’énergie qui se déploie d’un coup, l’ensemble des instruments faisant office de roches en fusion. Encore une rythmique redoutable pour "Lost and Found", qui reste d’après moi l’un des tous meilleurs titres de l’album (ce qui n’est pas peu dire). La basse et la batterie vont de pair et sont en parfaite osmose, tandis que la voix de Andy Latimer ne souffre d’aucune imperfection, un morceau véritablement grandiose, agrémenté d’un solo de guitare pas piqué des vers, et d’un autre solo, mais au clavier, sur le même motif, le tout enchaîné d’une manière tout à fait harmonique, vraiment une pure réussite ! Et vraiment cette rythmique est irrésistible, j’insiste.
"The Final Encore" est un autre joyau de ce Rajaz, aux sonorités rythmiques parfaitement en adéquation avec la pochette et ce qui semble être, plus ou moins le thème de l’album : la vie dans le désert. Le titre éponyme, Rajaz, est introduit par une guitare acoustique, puis un violoncelle, qui noircit encore le ton plutôt mélancolique de la chanson, avant que la lourde batterie de Dave Stewart ne se pose jusqu’à la fin. Le chant de Latimer est en parfaite adéquation avec la musique, c’est vraiment magnifique et, encore une fois, tous les instruments s’entendent parfaitement entre eux, une alchimie totale. "Shout" est probablement le titre le moins progressif de l’album, le plus classique, sonnant presque pop, bien que le mot soit un peu usurpé dans ce cas. L’ensemble, sur fond de guitare acoustique reste quoi qu’il en soit superbe. Par ailleurs, les textes sont particulièrement touchants.
L’acoustique a décidemment sa place dans Rajaz, puisque "Straight To My Heart" est servi par un motif en acoustique de toute beauté. Les premières secondes rappellent le titre précédent, mais le morceau est plus déstructuré. Et encore une fois un solo dans le ton Pink Floyd vient enrichir la chanson. Superbe ! On arrive à "Sahara", morceau entièrement instrumental tout comme "Three Wishes", avec, là encore, une première partie plutôt calme, saupoudrée de notes de guitare volantes, qui laisse place à une envolée musicale, une envolée progressive, qui n’a rien d’une traversée du désert, puisque le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne manque pas de punch. Enfin, "Lawrence" clôt superbement la galette, dans une atmosphère assez étrange, sombre et inquiétante, au début, puis plus sereine au fur et à mesure.
Voilà un concept-album qui fait du bien. Il vient confirmer la capacité qu’ont les musiciens de Camel à inventer, sans s’égarer. Mention spéciale tout de même à Andrew Latimer, à qui l’on doit la majeure partie des titres, paroles comprises. Après 30 ans de carrière, voir un groupe comme Camel toujours aussi étincelant fait plaisir. Car Rajaz est peut-être bien le meilleur album qu’ils n’aient jamais réalisé. Mais quand s’arrêteront-ils ?