Camel -
Stationary Traveller
Les années 80 ne furent de toute évidence pas une période charnière pour le rock progressif. Certes, l’arrivée d’une flopée de nouveaux groupes qu’on assimilera à du « néo prog » viendra apporter un second souffle au genre, mais les dinosaures des « seventies » se faisaient de plus en plus discrets en terme de popularité. Camel n’échappera pas à la règle. Dommage car nombre d’excellents albums sortiront durant cette période. Oui mais voilà, depuis Breathless, les fans de la première heure restent un peu sur leur faim.
Camel joue une musique de plus en plus accessible, en intégrant quelques sonorités pop, bien loin des Mirage ou The Snow Goose. Illustration parfaite avec l’album précédant celui-ci, The Single Factor, qui présentera de nombreuses similitudes avec le son du Alan Parsons Project, qui connaitra d’ailleurs un succès retentissant cette année là, avec Eye In The Sky. Malheureusement, Camel ne rencontrera pas ce même succès, voyant même sa côte baisser sensiblement. Deux ans plus tard sortira donc Stationary Traveller. La thématique, un peu facile peut-être, surtout à l’époque, de ce concept-album n’est ni plus ni moins que le Mur de Berlin. Voilà pour le décor, voyons maintenant ce que l’album nous propose d’un point de vue musical.
"Pressure Points", un instrumental, ouvre la galette. C’est somptueux. Andy Latimer fait pleurer sa guitare dont il pose les notes sur d’inquiétantes nappes de claviers, qui introduit à merveille le sujet « développé » dans l’album. Le morceau suivant, "Refugee" fait ressortir immédiatement l’influence pop de Alan Parsons Project, rythmique métronomique et plutôt basique, très en phase avec l’époque. Une chanson qui tranche donc radicalement avec les épopées progressives des 70’, tout en réaffirmant l’évolution constatée sur le dernier opus. Le tout est agréable et entraînant, avec un solo fort sympathique en pizzicato, là encore tout à fait dans le style de ce qui se faisait à l’époque. "Vopos" propose à peu près la même chose, avec cette batterie qu’on croirait sortie tout droit d’une boite à rythme. Un morceau sans prétentions mais agréable.
Latimer laisse le micro à Chris Rainbow pour un "Cloak And Dagger Man" franchement inintéressant, sans être foncièrement mauvais. On peut en tout cas se demander l’intérêt d’un tel morceau sur un album estampillé Camel, puisque la patte du groupe est totalement absente… bref… C’est probablement le titre éponyme qui sort le plus du lot. "Stationary Traveller", deuxième des quatre instrumentaux, qui s’ouvre très progressivement tout d’abord par de jolies notes de piano, puis par des arpèges de guitare classique, laissant leur place à une inattendue flûte de pan, elle-même s’effaçant au profit de cette bonne vieille gratte électrique. La batterie s’aventure également dans ce magnifique chemin mélancolique, ramenant légèrement le morceau vers une base plus ordinaire, lui conférant un aspect de ballade. Quoi qu’il en soit, c’est superbe, et en un peu plus de 5 minutes, on atteint le sommet de l’opus.
La guitare rythmique en palm-muting de "West Berlin" nous ramène, musicalement en tout cas, plutôt vers le début de l’album et ses sonorités « tendances ». Toujours ces ressemblances étranges avec Alan Parsons et sa pop progressive (plus pop que progressive d’ailleurs...). Ni exceptionnel, ni mauvais. "Fingertips" est l’une des meilleures compositions de ce Stationary Traveller, bien qu’il n’échappe pas aux clichés musicaux de l’époque, rythmique et solo de saxophone aidant. Il faut dire que la voix de Andy Latimer sonne ici vraiment bien, largement mieux que sur le reste de l’album. Une jolie chanson mélancolique. Une petite touche progressive montre le bout de son nez dans "Missing" mais, c’est le comble, cet instrumental est monotone et sans intérêt.
Le suivant, instrumental également se révèle être un bel interlude, accompagné timidement par un accordéon, qui donne sur le final "Long Goodbyes", une ballade progressive sans doute un peu pompeuse, mais du plus bel effet ou l’on retrouve, avec plus de succès, Chris Rainbow, qui accompagne Latimer, dans un refrain digne des plus belles « happy end » du cinéma, avec ce que cela importe, en bien ou en mal c’est selon les goûts. L’inévitable solo (un peu trop prévisible notons…) est bien sur de la partie, et l’album se termine donc sans surprise, sur quelques notes de piano. Les belles années du progressif semblaient loin pour Camel, après ce Stationary Traveller qui marquera un silence total du groupe pendant 8 ans. (probablement le temps nécessaire pour recharger les batteries après les critiques…). L’absence de Peter Bardens eut pour conséquence ces chansons pop, en adéquation avec la mode de l’époque.
Il est bien difficile de donner un avis objectif sur cet album. D’un côté, une pop aux sonorités faciles a remplacé les envolées progressives passées, et certains ne manqueront pas de les blâmer pour cela. De l’autre, on est bien loin de la catastrophe, car, si Stationary Traveller propose une musique easy listening , les morceaux ne sont pas mauvais, le concept de l’album intéressant, et l’ensemble tient la route. D’autant que Camel reculera pour mieux bondir quelques années plus tard avec quatre chefs-d’œuvre à la suite. Stationary Traveller illustre donc très bien cette période de transition du début des 80’s, située chronologiquement entre les débuts progressifs « old school », et les récents albums du groupe, davantage proches de Pink Floyd et de Marillion.
Au final un bon album, qui plaira aux inconditionnel de Alan Parsons Project et des sonorités 80s. Ceux qui en sont restés aux premières années du prog passeront probablement leur chemin …