Grand. Beau. Culte. Énorme. Que puis-je dire? Cet album a retourné la scène rock l'année de sa sortie, et à raison. Outre les tubes radio "The Distance" et "I Will Survive", il n'est qu'un enfilement de perles, une suite de chansons uniques et superbement écrites et arrangées. L'histoire de la musique est parsemée de moments de chance, ces moments où pile les bonnes personnes ont enregistré le bon album. Phénomène d'autant plus précieux qu'il a été éphémère (le line-up a ensuite explosé), la réunion de ces gens-là, à ce moment-là, pour jouer ces chansons-là restera dans les annales. Bienvenue dans le bonheur...
Cake ou la formule qu'on n'attendait pas, à savoir le groupe de rock à trompette. J'imagine que c'est cette caractéristique qui frappe le plus pour quiconque écoute le groupe pour la première fois. Oui, dans Cake il y a un trompettiste qui enrichit chaque chanson par des thèmes judicieux, avec un son chaud extrêmement agréable. La trompette est complètement fondue dans la texture sonore du groupe, et au bout de deux chansons elle s'impose comme une évidence. Cake sans la trompette, ce ne serait plus Cake. Mais chaque composante du groupe est unique, et c'est sa force, car chaque ingrédient sonore se marie avec la totalité des autres à la perfection.
La voix de John MacCrea est très spéciale: grave, profonde, elle donne surtout l'impression d'être extrêmement posée et calme, avec une articulation parfaite. Le chant de MacCrea oscille souvent vers le chanté-parlé quand il ne part pas carrément en rap, et sa voix a quelque chose de reposant. Bien sûr, son registre n'est pas énorme, mais d'une part c'est son timbre qui le rend spécial, et d'autre part ses parties sont enrichies par des backings de qualité. La guitare a un son bluesy un poil sale assez réjouissant, et Brown est un guitariste tout en feeling qui sait faire sonner sa guitare au point de se permettre un solo sur une note et de s'en sortir avec les honneurs sur "I Will Survive". La batterie a un son très vintage particulièrement appréciable, et enfin la basse est monstrueuse. Dans la série « ma vie », c'est cet album qui m'a donné envie de me mettre à la basse, et encore aujourd'hui écouter les lignes de Victor Damiani (disparu corps et biens depuis) m'emplit d'émotion. Mais j'y reviendrai.
Donc voici un album de rock mélodique. Tout le génie de cet album est là: la mélodie. L'art de superposer des lignes et d'en tirer un résultat limpide, ciselé, enfin beau quoi! L'intro du titre "Daria" est une démonstration de cet art: sur la rythmique de notes mortes de la guitare viennent se poser une ligne de basse et quelques notes de piano se complètant parfaitement, et le reste du groupe vient compléter la palette. Voilà un titre bien à l'image du reste: accessible à mort (ça « saute aux oreilles »), mais avec des arrangements finalement complexes et très recherchés, unifiés par cette production si chaude et si équilibrée. L'album est de plus extrêmement varié, passant de la ballade acoustique à la country pêchue, au funky "Nugget" limite RHCP, au rock-rap de "The Distance"... Et c'est à chaque fois le même groupe, le même son, l'unité artistique est indiscutable. Impresionnant.
L'album comporte trois reprises, ce qui aurait pu être considéré comme risqué mais ne pose pas de problèmes pour deux raisons: un, l'album comporte treize chansons (et un inter-titre) au total donc ça va ; deux, ces trois reprises sont parfaites. Le plus connue, à savoir "I Will Survive" en blues-rock, est une réussite totale, portée par une ligne de basse de fou et un construction sans faille. Les deux autres, "Perhaps, Perhaps, Perhaps" (interprétée par Nat King Cole en espagnol) et "Sad Songs And Waltzes", sont toutes aussi bonnes. La première est un exercice de style brillant, avec une guitare blues-rock complétée par des éléments tangos à la trompette. La deuxième est une tire-larme de ballade country, magnifiée par la trompette, une chanson de haine déguisée en chanson d'amour, fantastique.
Enfin, j'avais promis d'y revenir, la basse dans cet album. Et bien c'est un des meilleurs qui joue ici, et son jeu est pour moi le « plus » qui rend cet album unique. Le son, rond, ample, chaleureux; les lignes, dégoulinantes de feeling et de classe, le sens du rythme, de la mélodie, le technique, tout est là pour fasciner n'importe quel bassiste normalement constitué. Gabriel Nelson, qui le remplacera sur les albums suivants, bien que bon bassiste, n'arrivera jamais à recréer la « ligne de basse Cake », et Fashion Nugget reste pour cette raison unique dans la discographie du groupe. Il faut s'y faire: il ne referont jamais aussi bien. Donc en attendant, il ne nous reste qu'à réécouter ce bijou de rock encore et encore...