Coroner, en 1990, avait décidé de faire comme Voivod et son Nothingface sorti en 1989 : changer, développer leur répertoire, progresser. L'album dont il est question, Mental Vortex, en est la preuve avec ces huit titres. En meilleure position que Mekong Delta et leur chanteur amateur, ils auraient pu casser la baraque. Mais Noise Records, malgré l'avantage d'avoir leurs propres studios (un gage de sérieux et de gain de temps), avaient aussi leurs préférences, qui est le principal défaut. Face à une demande avide de death metal bourrin, allez donc encenser des trucs avant-garde sans perdre du fric. Tout cela n'a fait que renforcer le discours d'Euronymous, qui se sentait conforté dans sa décision de fonder Deathlike Silence Productions.
La victime de Noise Records qui n'avait d'yeux que pour Kreator et d'autres thrashers "tout-venants" comme Tankard aurait pu limite s'entendre avec les Norvégiens, tant ils partageaient un dégoût pour les gros labels produisant des groupes parfois identiques au niveau du son. De toutes façons, le pauvre trio suisse ne se faisait presque plus d'illusions depuis le coup de la vidéo Live in East Berlin sortie sans leur accord . C'est donc en 1991 (date de l'explosion du death metal et de la sortie de Worship Him, des compatriotes suisses de Samael) que Mental Vortex, en bas de catalogue aussi, atterrit dans les bacs après mixage au Morrisound Studios, temple du death metal. Même si certains évoquaient une absence de surprise par rapport aux autres albums du groupe (dû à un éventuel caractère impersonnel), la magie est présente. Et si en tant que thrashers et guitaristes vous le cherchez, essayez de le trouver pour pas trop cher (ce qui est difficile, évidemment) et là, vous en aurez vraiment pour votre fric. Ce disque pouvait donner envie de croire au thrash en 1991-92 si plus de groupes adoptaient ce genre de démarche. Déjà, le premier truc est le son : devenu presque plus agressif et puissant, et la basse a repris ses droits dans la production. Celle-ci est par ailleurs claire et laisse présager du bon sur les riffs.
Et mon dieu, c'est le cas ! Coroner décide de ralentir la cadence, réduisant le caractère cataclysmique si présent sur ses premières sorties. Les mid tempos remplacent peu à peu les accélérations, les riffs sont tantôt posés, tantôt accrocheurs. Les modèles restent les morceaux "Son of Lilith" et "Metamorphosis". On a un caractère hypnotique, des solos à tomber par terre et un jeu de batterie qui complète le tout de façon magistrale (Marquis tenait bon avant de ne pas être autorisé à jouer sur Grin, remplacé par le batteur de Mekong Delta et de Krokus). Seul Ron Royce ne change pas son chant et c'est justement ce qui fait la cohérence de l'œuvre de Coroner. Même si la période des rafales de riffs et descentes de gammes tranche avec ce caractère posé, il reste cette voix, collant avec le reste. Il n'y a qu'à l'entendre s'acharner sur le refrain de "Semtex Revolution", meilleur titre de la galette avec ces riffs dissonants, les arpèges à la guitare acoustique et toujours les solos de Tommy T. Baron, se permettant ici une approche blues rock. Et il ne fait pas non plus oublier le très hargneux "About Life", avec un constat identique au niveau du refrain. Après, il faut reconnaître que le groupe ne sera allé jusqu'au bout que dans Grin, fusion parfaite entre le thrash et les effets industriels. Et puis il existe quelques moments moins marquants comme sur "Sirens" et le premier titre malgré son époustouflante entrée en matière.
Il faut aussi évoquer la reprise de ce disque où Coroner prouve ce que le thrash doit, lui, aussi, aux légendes du rock. Après Jimi Hendrix qui vit "Purple Haze" se faire revisiter, ce qui fut remarqué par la critique, c'est au tour des Beatles avec "I Want You (She's so Heavy)". Et... merde, rarement une reprise aurait rendu le tout aussi rock' n roll avec les parties solos, ces bends en cascade et les harmoniques qui vous harcèlent dans tout les sens. C'est simple : la copie égale l'originale, malgré le riff répété à l'infini vers les dernières minutes, qui semble trancher avec le reste de l'album. L'arpège en son clair achève de renforcer l'atmosphère, tandis que la basse se fait bien entendre. Tout cela conjugue à ce que Mental Vortex soit un modèle pour tout groupe de thrash ne cherchant pas à passer pour des ringards bons à plagier les vielles légendes du thrash comme Exodus, par exemple. Car face aux partitions, les doigts vont souffrir et les cordes vont chauffer. Plus on se rapproche du centre du disque et plus ce sera l'enfer à enchaîner riffs et interludes. Aucun solo sans harmoniques, des riffs demandant énormément de doigté et de dextérité. Et ce sera la même chose sur Grin, plus abouti.
Groupe unique grâce à cet album, Coroner a finalement des choses en commun avec Mayhem (hors musique, cela va de soi) quand on regarde certains aspects : même ras-le-bol des labels ne s'intéressant qu'au tout-venant (même si Suffocation, Morbid Angel et Cannibal Corpse avaient leur identité grâce au son), même imagerie mystico-funèbre (l'intérieur du livret de De Mysteriis Dom Satanas ferait presque penser au trio suisse) et surtout, même respect pour la musique de Celtic Frost, grand groupe précurseur. Avec les grands noms du thrash comme Megadeth et Slayer, les trois Suisses innovent, tabassent et donnent une leçon à bien des groupes qui s'imaginaient que poser un peu de riffs et faire une belle pochette suffiraient à faire un excellent album.