Les groupes passent tous, c'est normal, par l'animosité, des périodes pénibles où chaque musicien s'entend de moins en moins avec les autres. Certains membres deviennent un poids comme Di Anno, et il arrive même que ce soient même tous les membres du groupe qui ne peuvent presque plus se voir (Possessed). Mais si Coroner n'en est pas arrivé aux bagarres, les témoignages montrent un Tommy T. Baron de plus en plus seul à se perfectionner, les autres étant assez paresseux. Après, rassurez-vous : ils tombèrent tous les trois d'accord pour dire que leur vidéo live (enregistrée dans le cadre du Thrashing East Berlin) de 1990 était pourrie (aucune prise sur le public, trouillomètre à zéro et autres). Bref, au moment où le thrash n'est plus en course ou presque, le death en train de se mordre la queue à force de copier Death, Morbid Angel et cie, et le black acharné à revenir aux temps de Venom, Bathory et Celtic Frost.
Coroner est un des porte-étendards ultimes du thrash et , termine quasiment ici son parcours marqué surtout par un label trop obnubilé par Kreator. Ici, on tient un album aussi excellent que les autres, qui sont tous très bon dans le genre défonce. Et c'était déjà bien engagé sur Mental Vortex qui, malgré un accueil moins enthousiaste que pour No More Color (Hard Force Mag évoquera une absence de surprise), rompait définitivement avec l'époque des simples mais puissants albums de techno-thrash du genre D.B.C ou encore Infernäl Mäjesty. Pourtant, l'enregistrement ferait presque penser à un album solo du gratteux : Tommy T. Baron dût assurer la la moitié des parties de basse, et Marquis ne joue même pas, laissant sa place au batteur de Krokus. Mais en laissant ces querelles et ces problèmes de côté (d'autant que les trois membres y jouent quand même ensemble), on a affaire à un groupe au sommet de son art et au bout des expérimentations. Autant dire que si Coroner, dernier véritable album, voltigeait entre l'électro et le thrash, Grin a l'avantage de rester métal de bout en bout, tout en laissant planer une ambiance bien particulière grâce à la production, montrant sa persévérance malgré le peu d'intérêt suscité par Noise Records.
Tommy T. Baron, avec un son de guitare puissant et ne ressemblant plus à celui des premiers disques, nous gratifie de ses monstrueux solos (aucun n'est mauvais ou décalé, chercher à les reproduire relève presque de l'exploit olympique) et autres riffs empreints de malice. Les arpèges, solos et accords se font moins speed, mais plus entêtants, plus lourds surtout. Le morceau phare de ce constat," Caveat (to the Coming)" exercera sur vous un envoûtement quasi-imparable. Le reste du groupe, lui, instaure une ambiance bien particulière. Ici, la violence est cérébrale, presque insidieuse. On a affaire à un monde réellement étrange, à l'image de la pochette, et on n'est pas loin d'un monde de folie, d'ambiances oppressantes. La batterie peut agacer de par son aspect clinique, froid et presque impersonnel comme sur le précédent effort, mais cela colle mieux à l'ambiance. Donc autant dire que ce membre de Krokus semble avoir une technique puissante, variant son jeu en le ponctuant de parties dansantes et d'autres plus massives. Et enfin, Ron Royce nous gratifie d'un chant vicieux, agressif pour le genre (mais vraiment, et c'est un blackeux qui dit ça), éructant des textes d'excellente qualité dans un genre tourmenté et cyber-punk. Le phrasé est entêtant et vous fait dégueuler les poumons et dépiauter la gorge à force de vouloir hurler avec lui. Tantôt sur des morceaux comme "Status : Still Thinking" ou "Internal Conflict", la voix se fait normale ou trafiquée.
En fait, tout l'album est un condensé très intense, mélodique, mais aussi angoissant et industriel de thrash et de bruitages distillant une atmosphère que la presse rapprochait de Godflesh. Il n'y a qu'à écouter les instrumentaux que sont "Dream Path" et "Theme for Silence" (reposante, celle-là) pour voir quel univers asphyxiant et pourtant mystérieux nous est présenté. Non mais... putain, écoutez les trois morceaux juste après "The Lethargic Age" et sa puissante structure. Parce que là, vous plongerez tout votre être dans un cyber-espace sans aération, et serez à la limite de l'orgasme douloureux en entendant les parties de guitare. La perversité rentre-dedans de "Internal Conflict", la beauté de "Caveat (to the Coming)" et le sombre "Serpent Moves" et ses échanges entre micro et dictaphone. Il n'y rien à jeter dans cet album, c'est certain, entre les rythmiques hypnotisantes et celles plus martelées. D'autant que certains titres sont renforcés par ces bruitages, correspondant parfaitement à chaque piste, que ce soit le larsen à la fin de "Internal...", ou les alarmes du suivant. Et alors tout le monde pouvait s'imaginer que passée l'interlude, ce serait plus léger... et bien non ! Ça repart avec trois pistes plus agressives, de l'écrasant "Paralized, Mesmerized", au dernier morceau, avec au centre l'entêtant emballement de la batterie de "Grin (Nails Hurt)".
Bref, si vous voulez l'acheter, menacez de mort celui qui oserait le vendre à un prix prohibitif, ou dès que vous le repérerez, maintenez l'emprise sur votre proie jusqu'à ce que plus rien ne bouge. Et ce ne serait pas grave d'épouser une riche héritière et de la dépouiller ensuite. Parce que si vous êtes fan de techno-thrash, d'industriel et de Coroner, il n'y aura aucune excuse pour ne pas se procurer cet album. D'autant que l'engouement immortel pour ce groupe fût tel que Tommy et Royce, devant les reprises de leurs morceaux, surprirent tout le monde en se reformant. Après, si c'est pour un nouvel album, seul le futur le dira. Mais rien qu'avec ce disque, vous aurez entre vos mains la perfection du techno-thrash et une des perles du thrash en général, dont l'esprit subsiste chez des groupes comme Vektor. Donc autant vous dire que si le trio suisse, qui a commencé en tant que soutiens de Celtic Frost pour se forger une place au Panthéon du thrash, sort un album de la trempe de Grin voire plus, il est certain que le respect sera sans égal.