Sepultura, c'est un peu comme un international en fin de carrière : on a beau être conscient qu'il est à des années-lumière de son niveau de la grande époque, on garde sur lui un œil bienveillant en souvenir du passé. Voilà comment des albums comme Dante XXI ou A-Lex ont été quasi unanimement salués comme de bons crus alors qu'ils seraient sans doute passés inaperçus sans le prestige encore lié au nom de Sepultura. Vous me direz, c'est loin d'être les seuls dans ce cas-là…
Pour ce douzième album, le sixième déjà avec Derrick Greene, aka « le nouveau chanteur » depuis 15 ans (soit autant qu'avec Max !), les Brésiliens ont opté pour le retour aux sources. Au niveau de la production notamment, signée Roy Z : la jeune génération qui n'a connu que la Loudness War risque de trouver le résultat un peu secos et pas assez bodybuildé, mais ceux qui ont adulé (et adulent encore) Arise ou Beneath The Remains seront en terrain connu. Et mine de rien, ce son colle parfaitement aux nouvelles compos, très tranchantes. Le ton est donné avec "Spectrum" : riff nerveux, batterie incisive, solos sauvages, et toujours ce chant empli de fureur de Derrick Greene. Sepultura ne relâchent pas l'étreinte avec "Kairos" : la rythmique puissante agit comme un bulldozer sur le couplet, et le refrain beuglé par Greene ne fait qu'enfoncer le clou. Seul moment de calme, ce break à base de percussions qui nous ramène à l'époque de Chaos A.D. De toute façon, c'est bien simple, jusqu'à "Dialog", un titre très catchy où le couplet parlé s'oppose à un refrain direct et efficace, c'est le sans faute absolu, au point qu'on croit enfin renouer avec le grand Sepultura. Sauf qu'après, ça se gâte un peu…
Non pas que les Brésiliens flanchent complètement, mais bon nombre de morceaux partent fort avant de se perdre en chemin. Prenez "Mask" par exemple : le couplet, puissant et groovy, est une véritable boucherie, un appel à la baston ; et puis arrive le refrain, et là on débande direct tant le manque d'inspiration est flagrant alors qu'on s'attendait à ce que Sepultura enfonce le clou. L'accélération finale 100% pur thrash fait du bien par là où elle passe, mais on se retrouve avec un morceau correct alors qu'il avait tout pour être exceptionnel. Idem avec "Born Strong", qui commence de manière frontale qui nous fait ressentir une furieuse envie de gueuler avec Greene, avant de verser dans du mid tempo lourdaud et sans imagination. C'est encore la même chose avec "No One Will Stand", une roquette thrash old school qui agi comme un shoot d'adrénaline avant que le prérefrain complètement nawakesque ne vienne briser la dynamique. A la limite, sur cette deuxième moitié sans éclat, on retiendra le pari "Structure Violence", un titre aventureux en collaboration avec les Tambours du Bronx, où le groupe développe une ambiance futuriste sur une trame proche de "Real Eyes, Realize, Real Lies" de Machine Head.
Kairos s'inscrit donc dans la tendance en vigueur depuis Roorback : pas mauvais, parfois même sympa, mais pas de quoi se relever la nuit. Sepultura est toujours capable de coups d'éclat de temps en temps, avec un Derrick Greene qui a su imposer son style et un Jean Dolabella d'ores et déjà très bien intégré, mais il faut vraiment faire le tri pour mettre la main dessus. Petite note à ceux qui tenteront le coup : privilégiez l'édition limitée, avec une reprise de "Firestarter" vraiment bien foutue (plus travaillée que celle de "Just One Fix" en tout cas) et un "Point of No Return" qui ne collait pas au reste de l'album mais qui s'avère bien plus plaisante qu'un titre comme "Seethe".