Parti d'Helloween pour cause de divergences musicales, Kai Hansen n'a pas chômé. Monsieur Citrouille ne s'est pas laissé abattre, il a préféré profiter de sa notoriété pour monter un autre groupe. Gamma Ray était né. Heading For Tomorrow s'annonce pour beaucoup en 1990 comme l'album qu'aurait dû faire Helloween après le cultissime Keeper Of The Seven Keys Part II. Il suffit de le comparer avec Pink Bubbles Go Ape pour comprendre les raisons du conflit; même sans faire intervenir tout jugement sur la qualité de ce dernier disque, il est clair qu'Helloween, tôt ou tard, ne pouvait qu'éclater sous la tension sévissant entre ses deux têtes pensantes de l'époque, Kai Hansen et Michael Weikath.
Kai Hansen a choisi de rester fidèle au style qu'il a lui-même créé, et livre avec ce premier album des compositions qui auraient pu sans problème figurer sur les deux Keepers. La machine est rôdée, et son style est déjà bien forgé. Reparti de zéro, il a dû faire appel à des musiciens plus ou moins inconnus: Uwe Wessel à la basse et Mathias Burchardt à la batterie. Quant au chant, conscient de l'impact qu'a laissé Michael Kiske dans Helloween, Maître Hansen a jeté son dévolu sur l'ex-Voltage Ralf Scheepers, qui ma foi dispose déjà à l'époque d'un fort bel organe. Un brin plus agressif que le prodige des citrouilles, influence Judas Priest oblige, Ralf Scheepers est l'homme idéal pour interpréter les mélodies haut perchées de Kai Hansen. Speed et catchy, l'opener "Lust For Life" est l'occasion pour lui de faire montre de son talent, de même que le mid-tempo "Heaven Can Wait", sorti par ailleurs en single, qui rappelle nécessairement les tubes d'Helloween que sont "Future World" ou "I Want Out". Et si vous n'êtes pas convaincu, écoutez donc le refrain et le plan intermédiaire de "Space Eater", où la voix de Ralf fait des miracles, ni plus ni moins.
Rarement - voire jamais - très technique, Gamma Ray mise tout sur la patate très communicative des compositions de Kai. "Hold Your Ground" et ses choeurs cheap à la Bioman prête ainsi à sourire, mais c'est volontaire; et là encore, le vocaliste vient sur le pont mettre tout le monde d'accord. "Money", de même, est lieu d'un échange vocal entre Ralf Scheepers et un Kai Hansen tonitruant, complètement allumé dans le rôle de la conscience du narrateur, avec un refrain débile mais ô combien jouissif. Néanmoins, Gamma Ray sait aussi être plus touchant, comme sur la ballade "The Silence", aux choeurs impressionnants cete fois, entrecoupée d'une montée en puissance instrumentale de grande volée, qui dénote avec force contraste du premier mouvement très raccoleur. Très sympathique. Ralf Scheepers a obtenu l'honneur de faire figurer sur l'album l'une de ses propres compositions, "Free Time", qui sans être mauvaise ne casse pas des briques; et fait en tous les cas pâle figure aux côtés des quelques joyaux qu'elle côtoie, et dont seul Kai Hansen a le secret. Une reprise est à signaler: "Look At Yourself" d'Uriah Heep, dont Kai est fan. Pas grand chose à signaler, ce titre - pas fameux - est bien rendu.
Le gros morceau reste incontestablement "Heading For Tomorrow", épique et dramatique, et morceau de bravoure de Ralf et de Kai, qui brillent tous les deux, tour à tour, l'un dans l'interprétation et la tenue de notes incroyables, l'autre dans les multiples soli et leads inhérents à la chanson. Kai Hansen n'est pas qu'un petit rigolo, c'est un grand musicien et il le prouve. Cependant, et pour répondre à ceux qui prétendent que l'âme des deux Keepers n'est imputable qu'à ce dernier, on sent tout de même en comparaison avec Keeper Of The Seven Keys part II qu'il manque parfois à Heading For Tomorrow un petit quelque chose, un brin de créativité, un peu de fraîcheur, bref la "Weiki touch. Les deux ne font malheureusement plus la paire. Mais pas de panique, ça reste de la très bonne camelote, certainement même l'un des meilleurs Gamma Ray à ce jour, loin à l'époque de la sérieuse remise en question qu'a symbolisé Sigh No More. Les fans ne peuvent pas être déçus.