Un jour les Eternels pourraient consacrer un dossier aux losers du métal, ces individus n'ayant pas connu un destin tragique à la Bon Scott, Dead de MayheM ou Kurt Cobain, mais sur lesquels le sort et/ou le public se sont néanmoins acharnés. On retrouverait sûrement dans le top cinq Ripper "siège éjectable" Owens et Mark Cross (louper la place de batteur d'Helloween à cause d'une mononucléose, ouch)... mais la première place ne fait aucun doute. Blaze Bayley restera la tête de turc de toute une génération de fans et The X Factor l'album de la honte pour énormément de monde. Et pourtant...
… et pourtant cet album est grand. Très grand. A l'heure où de moins en moins de monde s'attend à un quelconque renouveau de la part d'un Maiden qui a cessé toute évolution depuis Dance Of Death, The X Factor donne rétrospectivement l'impression d'être le dernier album où le groupe a réellement créé quelque chose. Loin de la sympatoche compil de titres taillés pour le live qu'est Virtual XI ou du (talentueux) patchwork de toutes les époques que constitue Brave New World, The X Factor est un disque profond, complexe et varié. Les thématiques déjà tranchent avec l'histoire du groupe : Maiden avait pour habitude d'aborder une multitude de sujets dans chaque album alors qu'ici les deux sujets-pivots que sont la guerre et la foi semblent vampiriser le tout. Au rayon approche frontale Harris et sa bande évoquent directement le rapport entre l'homme et Dieu dans "Sign of the Cross" et "Judgement of Heaven" ainsi que les méfaits de la guerre dans "Fortunes of War" et "The Aftermath". Mais le reste des compos n'est pas loin : "Blood on the World's Hand" est une interrogation sur le sens d'une vie de souffrance où l'humanité creuse son propre tombeau sans cesse. "Man on the Edge", "The Edge of Darkness" et "Lord of the Flies" sont autant adaptations d'oeuvres où la folie et la sauvagerie tiennent le premier rôle (respectivement les films Chute Libre et Apocalypse Now ainsi que le roman Sa Majesté des Mouches de Golding)... jamais un album de Maiden n'aura été aussi sombre.
Conséquence logique, l'importance donnée aux atmosphères est énorme. Maiden prend le temps de poser des ambiances sombres et inquiétantes via des intros ciselées à l'extrême, les meilleures de leur carrière. En dehors des légendaires choeurs grégoriens de "Sign of the Cross", les 3'27 de musique précédant le réel début de "Fortunes of War" collent des frissons. Les arpèges, les nappes de claviers et le chant blessé de Bayley posent le cadre, puis le tout s'assombrit de plus en plus avant de devenir soudainement très heavy. La manière dont le groupe utilise un de ses gimmicks habituellement hyper catchy et fédérateur (la mélodie lead de guitare qu'on reprendra en choeur au concert) pour alourdir encore un peu plus l'atmosphère déjà pesante est presque emblématique. Et que dire de l'intro de "Blood on the World's Hands", première et unique intro de basse démonstrative et technique de Steve Harris qui laisse la place au thème puissant de la chanson d'une manière magistrale ? C'est du Maiden, indubitablement, mais du Maiden comme on en avait pas encore entendu. Il faut dire que le groupe prend un malin plaisir à lier ses composantes les plus reconnaissables - basse en tagada, soli alternés, mélodies à tous les étages – à d'autres éléments presque inédits, et dès qu'il d'agit d'enchaîner intro et couplet c'est du talent pur. Les guitares vintage de "Lord of the Flies" sortent de nulle part et enchaînent sur de la puissance brute, les accords à la basse de "Judgement of Heaven" annoncent parfaitement le riff qui suit, et ainsi de suite.
Du coup la plupart des titres sont longs, et la seule chanson "directe" est aussi la seule qui n'atteint pas la barre des cinq minutes. "Man on the Edge" est un bon titre de heavy enlevé, qui s'il paraît forcément un peu simpliste comparé aux compositions épiques de l'album remplit bien son job niveau efficacité... et annonce en quelque sorte Virtual XI. Par contre il ne faudrait surtout pas croire que la puissance est absente de The X Factor pour cause d'ambiances mises en avant : chaque chanson ou presque renferme une bonne part de heavy-metal qui tape, et la voix enragée de Bayley joue un énorme rôle dans cet aspect. Si la tessiture du nouveau venu n'a rien à voir avec les capacité de Castafiore de Bruce Dickinson, il possède un grain et une chaleur totalement inimitables. Il est de plus capable d'émotion, aspect dans lequel Dickinson est tout sauf doué. Sa manière de passer de la colère à la souffrance dans son chant est mémorable ("Fortunes of War", seigneur !), et imaginer une autre voix que la sienne sur les compo de l'album est quasiment impossible. Personne d'autre que lui n'aurait pu coller sur le riff lourd et terriblement rock'n roll de "The Aftermath", ce titre constituant au passage une des rares tentatives de hard-rock totalement réussies de Maiden. Ca cogne, ça balance et quand on se rappelle du ratage "From Here To Eternity" sur Fear of the Dark on se dit qu'il y a eu du progrès... et quand on pense à la suite on ne peut que considérer The X Factor comme un point culminant.
The X Factor est le dernier grand Maiden. Mis à part quelques tendances à la répétition de refrains et un titre un peu plus faible et générique que les autres ("2 A.M."), l'album confine au parfait. Evidemment le changement brutal d'ambiance et de chanteur aura les conséquences que l'on sait auprès des fans, et le décevant Virtual XI achèvera de convaincre le groupe de la necessité du retour de Dickinson. Est-ce toutefois une raison pour bouder ce chef-d'oeuvre de métal sombre et introspectif ? Certainement pas.