Comment percer. Partez d'un genre un peu bâtard et convenu mais dans lequel vous vous montrez hyper efficace. Améliorez-vous progressivement puis sortez THE album qui tue, celui où votre style devient affirmé et où votre talent explose. À ce stade associez-vous avec un génie reconnu à la prod et sortez un album avec lui. Pas besoin de progresser, hein : refaites votre album qui tue en un peu plus mou, avec son nom accolé dessus tout le monde le trouvera meilleur. Après ça y est, vous n'avez plus besoin de vous fatiguer ! Posez-vous dans une chaise longue, prenez un cocktail et sortez Figure Number Five sans trop y penser.
Le cynisme de cette intro sera peut-être jugé excessif par certains mais l'écoute de cet album laisse un sale arrière-goût d'immobilisme, en particulier si on s'est enfilé A Predator's Portrait et Natural Born Chaos juste avant. Figure Number Five porte bien son titre : ce n'est qu'un album de plus qui s'avère être le cinquième, et il marque un coup d'arrêt à la progression artistique bien plus brutal que Natural Born Chaos qui représentait pourtant déjà un bon coup de frein. Au niveau stylistique Soilwork est définitivement passé du melodeath à un métal générique et mélodique tirant un peu sur le metalcore : les riffs sont simples et essentiellement rythmiques, les harmonies en twin lead ont disparu, le rôle des claviers dans l'ajout de textures electro est amplifié et la dualité entre couplets hurlés et refrains chantés est devenue systématique. Ce qui ne serait pas un problème en soi si le groupe n'avait pas commencé à affreusement tourner en rond. A Predator’s Portrait reste l’album de référence de celui-ci, il sert toujours de base et les Suédois n’essayeront d'ailleurs pas vraiment de s'en dégager avant Stabbing The Drama.
L’auto-pompe fleurit donc sur l’album : le riff d'entrée de "Figure Number Five" fera bondir quiconque connaît déjà celui de "Like the Average Stalker" tant ils sont identiques, et le placement de la voix dans le vide entre les riffs de "Mindmaker" renvoie directement à "Needlefeast" avec un feeling rock’n roll en plus. Sauf que l’énergie brute (ce fameux Megaman pawa inside) n’y est plus et qu’on trouve à la place une application systématique de recettes éprouvées reprises d’un titre à l’autre... Le riff start-stop en particulier est une plaie sur cette album : le nombre de chansons up-tempo où les guitares balancent des salves plus ou moins rapides où les trous servent à mettre claviers, batterie et growl en valeur est proprement affolant. On part de cette base, on ajoute des nappes de claviers, on attend le refrain pour lâcher un chant clair bien tubesque et on repart à la case départ... Et si "Light the Torch", "Cranking", "Brickwalled", "Distortion Sleep" ET "Downfall 24" deviennent de fait des chansons ultra-prévisibles qui semblent être la déclinaison d’une seule et même compo qu’importe ? On a eu du mal à trouver une identité, on ne va pousser non plus.
Ne jetons pas non plus totalement la pierre à Soilwork : il y a tout de même une compo comportant une prise de risque et quelques expérimentations générales sur le disque. "Departure Plan" est une vraie chanson osée, une ballade electro où Strid ne hurle jamais et s’en tire avec les honneurs : de son chant posé sur les couplets à ses montées saturées dans les aigus sur les refrains le vocaliste assure vraiment et insuffle à la chanson une belle émotion. Il est de manière générale très à l’aise sur le disque et les expérimentations citées plus haut viennent de lui : ayant enfin totalement maîtrisé sa nouvelle technique de hurlement il commence à se faire plaisir et c’est très bon. "Figure Number Five" le voit en particulier combiner divers types de growl avec talent, et en général sa gestion des registres hardcore, death et melodeath est impressionnante. Aigu, grave, mid-range, haineux, vomi, revendicatif, tout y passe ! En dehors de ça Soilwork nous gratifie tout de même d’un bon vieux tube des familles ("Rejection Role") qui ressemble beaucoup aux autres du même genre mais possède ce petit plus qui fait plaisir. Mais il faut bien admettre qu’en général ça ne vole pas bien haut...
Vous avez donc percé et vous êtes bien content. Quelque part vous savez bien que vous êtes en train de plafonner depuis une paire d'années, mais après tout qui ne vit pas sur ses acquis au moins un petit moment ? Y’a quand même pas de quoi fouetter un chat. Allez, juré, sur le prochain vous essaierez autre chose... mais pour l’instant autant se détendre, hein. Y'a Jackass qui commence dans dix minutes.