Mon oncle est un brave homme. Assez anxieux de nature mais généreux néanmoins, il est toujours prêt à rendre service et manifeste une joie sincère quand il a de mes nouvelles même si nous ne nous voyons que rarement. Je suis toujours le bienvenu chez lui et sa femme a le coeur sur la main. Mais notre relation a ses limites : par exemple si je lui demandais de venir jouer de la guitare lead dans mon groupe de death métal mélodique il serait bien incapable de s'exécuter. Pour tout vous dire il ne comprendrait probablement même pas le sens de la phrase. Comme quoi tout le monde n'a pas la chance d'un Peter Wichers...
Ludvig Svartz ayant décidé que la musique pratiquée par le groupe ne lui convenait plus, Peter Wichers est donc allé chercher son tonton Ola Frenning pour le remplacer. Et fort bien lui en a pris : non seulement ce dernier est depuis devenu un pilier du groupe mais son jeu hisse Soilwork à un niveau supérieur de technique et de... violence. Car The Chainheart Machine représente une avancée fantastique pour le groupe sur le chemin de la brutalité pure, et si son prédécesseur était encore englué dans des clichés NWOBHM qui le rendaient un peu mou par moments ce deuxième album est du genre qui tabasse extrêmement fort. Et ce dès les premières secondes : du sample légendaire qui l'ouvre aux riffs affolants qui suivent, tout dans la chanson-titre reflète sa première phrase « I am the sledgehammer messiah ». Comme le nouveau batteur Henry Ranta Soilwork tape plus fort, plus vite et envoie du massif par louches. Des blasts-beats soudains aux breaks mélodiques, des soli endiablés de Wichers et Frenning qui s'éclatent comme des gosses au chant hurlé inhumain de Strid, des nappes de claviers qui renforcent le mur sonore aux milliards de breaks, c'est une des chansons-phares de l'histoire du death mélo qui nous déferle dessus. C'est absolument fantastique, et ça ne fait que commencer.
S'enquiller les cinq premiers titres de cet album pour la première fois... nombre de métalleux s'en souviennent encore probablement les larmes aux yeux. Exsangues, ahuris par une telle puissance et une telle rage après un premier titre ahurissant... BAM! "Bulletbeast" dans ta face ! La classe de la paire Wichers / Frenning est insolente : cette manière d'insuffler la mélodie dans les riffs thrash/death les plus corrosifs, ce groove insensé dans le refrain, ce superbe solo mélodique à deux... c'est complètement fou, et en plus ça ne fait qu'enjoliver une compo dont l'atout réel est un enchaînement de plans qui confine au parfait. L'intro en arpèges de "Millionflame" annonce directement A Predator's Portrait et l'alliance syncope / harmonie qui suit est emblématique du mélodeath : on n'est plus dans un simple heavy hurlé, on est dans un genre à part entière. Un genre où enchaîner un riff supersonique de métal extrême à un thème lead de power-metal devient totalement naturel, où la violence la plus brute devient catchy et entraînante... comment voir venir le break lead de "Generation Speedkill", à la limite du néoclassique alors que le reste de la compo dégouline de haine ? Comment ne pas se mettre à mosher comme un furieux face à l'alternance speed / syncope de "Neon Rebels" ? De la joie mon bon monsieur, de la joie. De la joie mâtinée de bonheur heureux.
Et puis pouf, d'un coup d'un seul l'hystérie retombe. "Possessing the Angels" part assez bien mais ne renouvelle pas grand-chose par rapport aux cinq tueries de l'enfer chaotique qui ont précédé : ça speede, ça hurle, ça breake, Ranta se la raconte à la double... mais rien de neuf sous le soleil. C'est là le risque couru quand on choisit la tactique de la blitzkrieg et qu'on tabasse sans arrêt dès le début : soit on tient jusqu'au bout et on a un Reign In Blood, soit on finit par lever le pied et on compose un excellent album au lieu d'écrire l'histoire. Aucun des titres de la deuxième moitié de The Chainheart Machine n'est faible à proprement parler, et "Spirits of the Future Sun" relance même brillamment la machine grâce à son thème de twin lead hyper accrocheur et ses brisures de rythme... mais contrairement à ses petits frères du début la compo comporte des temps morts ici et là, et la dynamique de l'album est déjà cassée de toutes façons. Qu'il s'agisse de "Machinegun Majesty" ou du titre de fin "Room n°99" la surpuissance initiale n'y est plus et on se retrouve face à du mélodeath de grande classe, aussi bien joué que produit (quel progression du son depuis Steelbath !) mais sans ce génie qui fait les grandes chansons métal. C'est « juste » très bon, en résumé...
Le bond en avant entre Steelbath Suicide et The Chainheart Machine est proprement stupéfiant. Soilwork se retrouve brutalement projeté dans la cour des grands avec cet album dont la première moitié figure encore aujourd'hui dans le panthéon du mélodeath. Il ne lui manque qu'un poil de maturité pour réussir à tenir le niveau le temps d'un album entier... défi qu'ils relèveront avec brio dans l'album suivant. Les choses sont en marche...