En 2008, le monde fermé du black metal bruisse. La rumeur se répand comme une traînée sans poudre aux yeux : Dimmu Borgir, oui, le vilain petit canard qui rempli les églises et vend ses albums à grand coup de caisses va se lancer dans une entreprise extraordinaire, et qui est sûrement appelée des vœux sataniquement pieux de beaucoup de fans, et même de groupes n'en possédant pas les moyens. Le groupe fait appel à un VRAI orchestre. Sans mentir, sortez les arbalètes et les archets car les violons sont de la partie. A vrai dire, le black metalleux qui s'assume fait même dans sa culotte.
Le culot, maître mot de cet album. Puritannical Euphoric Misanthropia a le culot de faire ce que beaucoup voulaient faire sans en avoir (ou s'en donner) les moyens : l'orchestre symphonique. Fini les claviers pis-aller ? Non, ils sont libérés pour faire autre chose que vouloir recréer des instruments classiques. On peut légitimement penser que Emperor en avait rêvé, Dimmu Borgir l'a fait en cette année marquante de 2001. Et il ne va pas faire les choses à moitié. Déjà, le son est musclé XXL. Fini les gentillesses heavy et mielleuses de Spiritual Black Dimension, faites place à l'agression et au rouleau compresseur. Les guitares ont sérieusement pris du poil de la bête et c'est tant mieux car elles sont acérées pour délivrer des riffs tranchants et peut-être inspirés comme jamais Dimmu n'a pu en donner. Elles ont du coffre, et pourtant reprennent un peu de cet élan black metal qui faisait cruellement défaut à son prédécesseur, la froideur organique.
Ne vous attendez surtout pas à du Darkthrone, cela reste du gros son, néanmoins l'agressivité calculée réconcilie avec les Norvégiens. Puis la batterie, reprise de main de maître par Nicholas Barker, ex-Cradle. Ils sont sûrement allés trop loin tant elle est implacable et mécanique. Pourtant, il n'avait pas foncièrement besoin de tous ces artifices pour écraser l'auditeur, car il cogne dur, vite et bien le bonhomme. Le rendu ultra-triggé casse la magie, même si ce côté mastodontique peut faire son effet. Et la violence refait un bon en avant par la même occasion. Album avec plus de moyens et d'ambitions ne signifie clairement pas accessibilité accrue. Et l'orchestre. Ah ça, il a fait jaser. Il était tellement tentant de leur jeter la pierre, les traiter de vendus. Pourtant, un orchestre classique ce n'est ni de la pop ni du hip hop. Le metalleux pouvait difficilement cacher son admiration larvée, car il savait très bien que sa musique s'acoquine parfaitement de ses accoutrements guindés. Tellement de compositeurs du monde du metal se permettent de citer la puissance des œuvres classiques.
Et bien ça marche. Ça putain de marche. Écoutez seulement l'évidente intro "Fear and Wonder". Aucune guitare, aucun chant, aucune batterie, aucune basse, aucun clavier. Rien de ce qui fait Dimmu Borgir. L'enchaînement sur le riff terrible de "Blessing Upon the Throne of Tyranny" laisse pantois. On passe de la beauté orchestrale à la plus brutale des expressions metallique. Faut dire que le riff est bon, exceptionnel même. Vous avez là pointé sous vos tympans le véritable chef-d’œuvre de nos amis boréaux, la corrélation parfaite entre moyens et inspiration. Ils n'y sont pas allés de main morte les sacripants. Les titres s'enchaînent avec maestria, chacun révélant ses plaisirs distincts et la grâce qui a touché le groupe lors de la composition de l'album. Les titres forts se succèdent et il est difficile de véritablement évoquer un accès de faiblesse. Le puritain que je suis écrasera sa petite larme d'exaspération sur la trop indus "Puritania".
Mais il faut avouer qu'elle donne un supplément d'aération, sinon nécessaire, tout du moins bienvenu dans ce monstre de brutalité magnifique (ils avaient pourtant déjà osé le beat technoïde sur "Hybrid Stigmata - The Apostasy"). Nicholas Barker envoie vraiment le pâté sévère derrière les fûts et les gratteux se sont mis à l'avenant. Pourtant le plus étonnant, c'est que derrière cette avalanche de blast s'accumulent monts passages d'une beauté à couper le souffle portés par la splendeur des guitares, et surtout l'évidence de l'orchestre. Les plus évidents à citer seront l'époustouflante avancée sautillante des violons (repris par le riff) sur "IndoctriNation" et surtout l'incroyable "Sympozium" dont la ligne de violons touche au divin tout en apportant un brillant exemple que les claviers n'ont pas été oubliés sur cette galette. En parlant beauté, il serait criminel de passer sous silence la performance sibylline de Vortex au chant clair. Il est utilisé avec délicatesse, et donc parcimonie, et c'est bien ce qui lui donne toute sa force pour ne pas lasser : sublime.
« Alors regarde, regarde un peu » avait dit Patrick Bruel, et bien regardez bien cette pièce d'orfèvre, car vous n'en verrez que rarement comme celle-ci. D'ailleurs, pour être tout à fait honnête, quasi vingt ans plus tard, le black metal n'a toujours rien produit d'équivalent avec un orchestre, excusez du peu.
P.S. : Et pour ceux bénéficiant de l'édition avec le bonus "Burn in Hell", reprise des Twisted Sister, chauffez-vous bien les oreilles avec cette merveille de reprise glam à la sauce black, imparable.