Extrait d’une conversation fin Juin 2050.
- Alors, ça s’est bien passé l’épreuve de philo ?
- Pfiou, tu parles… « Shades of God est-il autre chose qu’un album de transition dans la discographie de Paradise Lost ? ». Je suis dégoûté, j'avais fait l'impasse, la prof de philo avait dit de mettre le paquet sur Dimmu Borgir et Septic Flesh…
- Du coup tu as répondu quoi ?
- J’ai répondu un peu au feeling. En gros, que non, que Shades of God est plus qu’un simple album de transition…
Et notre jeune aspirant bachelier a eu raison ! Coincé entre Gothic et Icon, on a tendance à voir Shades of God comme un simple état transitoire, telle la voix de Nick Holmes, pas encore complètement claire, plus vraiment growl. Alors, oui, le troisième album des imprévisibles Anglais est une sorte de chaînon entre le proto gothic-doom-death des deux premiers albums et le metal gothique plus raffiné des trois albums suivants. Pas death pour un sou, bien moins goth que Icon ou Draconian, si l’on fait exception du remarquable metal anthem qu’est "As I Die", absolument pas représentatif du reste de l’oeuvre, Shades of God est un peu l’album de la force tranquille. Paradise Lost y pratique un heavy/doom puissant et racé, développé tout au long de compositions relativement longues et variées, presque toutes excellentes, et c’est là l’une des grandes forces de l’album : il n’y a pas de baisse de régime. Un seul filler à déplorer, et encore ("Your Hand in Mine"), il n’y a guère que One Second et peut-être The Plague Within pour faire aussi bien (et Host, mais il s’agit là d’un album atypique), le reste de la discographie du Paradis Perdu étant truffé de titres très, très moyens, titres qui côtoient tout de même bien souvent de véritables joyaux, il faut également le reconnaître.
À l’époque de sa sortie, je ne devais pas être le seul fan à avoir été décontenancé par cet album beaucoup moins obscur et underground que son prédécesseur, mais, au fil des écoutes, je m’étais laissé séduire par ces mélodies relativement franches et ces riffs costauds, bien plus heavy que death. Aujourd’hui encore, le départ tout en nuance de "Crying for Eternity" mettant parfaitement en valeur la puissance des riffs postérieurs, le rythme chaloupé de "Embraced", le côté presque rock de "Daylight Torn", la puissance abrasive de "Pity the Sadness" (autre grand classique du groupe), la saisissante variété du non moins puissant "No Forgiveness", me laissent encore sans voix… Et que dire du jouissif "As I Die", qui avec "Sweetness" est peut-être la meilleure chanson du groupe ? Leur meilleure chanson de leur meilleur album ? À chacun de se faire son opinion. Ce qui est clair, c'est que Shades of God gagne en force, en constance et en mélodie ce qu’il perd en audace. C’est bien là peut-être le seul mini-reproche que l’on peut faire à cet album : là où Icon, Draconian Times, Host ou Symbol of Life, entre autres, étaient innovateurs et du coup, inconstants, Shades of God, est, comme One Second, plus prudent et s'avance davantage en terrain connu. Prise de risque et inconstance vs. classicisme et qualité homogène ? Choisissez votre camp…
Ce n’est pas compliqué. De l’ample discographie de Paradise Lost, je ressors toujours les trois mêmes œuvres (en attendant de savoir ce qu’il adviendra du prometteur petit dernier, The Plague Within) : Shades of God, One Second, et Host (mais on a dit que celui-ci il ne comptait pas vraiment). Et le plaisir que je prends quand commence "Mortals Watch the Day" est toujours le même... Cela fait vingt-trois ans que ça dure. Combien d’albums suis-je capable d’écouter toujours avec autant de plaisir ? Dance of December Souls, Turn Loose the Swans et Âmes de Marbre (pour rester dans un registre similaire), et c’est bien tout. Plus discret que la plupart de ses frères et sœurs, le troisième rejeton de la bande à Greg et Nick, c’est la classe. Tout simplement.