Il n'aura pas fallu très longtemps à Paradise Lost pour sortir son "album de la maturité" : à peine un an après le premier et un peu brouillon Lost Paradise, Gothic démontre que le quintette britannique peut non seulement proposer un univers musical à part, mais également des compositions plus réfléchies et plus accessibles. Le propos se fait moins agressif, emblématique de la constante évolution que le groupe entamera jusqu'à Host, la conclusion logique qui mettra le groupe devant le choix : revenir à quelque chose de plus heavy ou se mettre aux percussions zen et autres chants bouddhistes.
Mais avec Gothic, nous en sommes encore loin : c'est le dernier album sur lequel on peut entendre Nick hurler comme un détraqué, et pourtant on sent déjà dans sa voix un peu plus de modulation, même si l'on est encore loin du style (très)agressif-(un peu)mélodique de Shades Of God. On pourrait même dire que cet album n'est qu'une ébauche de l'album suivant : Paradise Lost réussit à créer des compositions très accrocheuses à grands renforts de growls ("Rapture", "Eternal"), mais le manque de lignes vocales mélodiques se fait parfois sentir. "Shattered" ou "Angel Tears" reposent en grand partie sur les leads mélodiques de Greg Mackintosh et auraient pu se retrouver sur Shades Of God(voire sur Draconian Times), mais Holmes a encore du chemin à faire en tant que chanteur...
Bien avant que My Dying Bride ne commence à mettre du piano et des violons dans tous ses titres, Paradise Lost essaie de rendre le doom plus élégant, de l'aérer par quelques touches discrètes de chant féminin et d'instruments classiques sur le morceau éponyme, "Dead Emotion" et "The Painless". Paradoxalement, c'est sur ces même titres que les ambiances sont les plus extrêmes, et les parties calmes contrebalancées par des structures doom/death et tout ce que cela amène comme changements de rythme et d'ambiance. Mais qui dit doom/death ne dit pas forcément compositions interminables - ce sera l'apanage de My Dying Bride - sur Gothic, pas de titres pompeux, tout est bouclé en moins de quarante minutes, avec quatre minutes en moyenne par chanson.
Les compositions les plus complexes paraissent donc un peu trop indigestes au premier abord, alors que les compositions accrocheuses donnent une impression d'inachevé, et c'est ce qui pourra rebuter le néophyte en plus de la production assez vieillotte. De nos jours, on a peut-être du mal a apprécier (ou tout simplement voir) le charme d'un "Falling Forever", mais en contrepartie, l'album recèle quelques perles de noirceur : "Silent" et ses riffs lourds comme des pierres tombales, ou encore "The Painless" que même les interventions pas très convaincantes de la choriste ne parviendront pas à gâcher. Alors que le jeu de la section rythmique s'est déjà considérablement simplifié, Greg Mackintosh nous gratifie encore des quelques solos véloces et on pourrait presque dire que le guitariste tire l'album vers le haut à lui tout seul. Il n'est pas loin de définir son propre style, le style de Paradise Lost, - reste à se débarrasser de quelques gimmicks à la Cathedral et Candlemass - pendant que ses camarades ont encore un bon pied dans le death, avec tout ce que ça implique de "finesse".
En attendant, même s'il accumule pas mal de défauts, Gothic reste indispensable pour toute personne voulant pleinement comprendre le triptyque Shades Of God - Icon - Draconian Times ou s'intéressant aux origines du doom/death et du metal gothique.