Si le nom de Vitalij Kuprij vous est inconnu, il n’y a (malheureusement) pas de honte à avoir. Ce n’est pas tant le fait qu’il soit Ukrainien ou que sa coiffure soit restée ancrée au beau milieu des années 80… non, ça tient plus au fait que l’homme en question souffre d’une maladie rare et qui semble avoir pour conséquence de le placer aux extrémités les plus reculées de la sphère musicale métaleuse. Cette maladie méconnue pousse à produire des albums expérimentaux et bien souvent instrumentaux, à se sentir obligé de faire des hommages à Bach ou à Vivaldi et à agiter ses doigts à toute allure sur un clavier ou une guitare en suivant des gammes qui ont fait le bonheur des compositeurs des siècles passés.
Ce terrible fléau, c’est le metal neo-classique. Instrumental, qui plus est. Et l’homme semble gravement atteint, car il n’est pas à son coup d’essai : Glacial Inferno est son 6e album solo, et on ne compte plus les projets dans lesquels il s’est investi (Ring Of Fire, Artension...) et le nombre de musiciens avec qui il a collaboré (John West, Greg Howe, Fareri, Macalpine et bon nombre de jeunes virtuoses de la six cordes, ainsi que des pointures comme DiGorgio, Bynoe ou Lars Eric Mattson). Bref, Kuprij a un carnet d’adresses bien rempli, et il sait le faire jouer quant il le faut. Sur Glacial Inferno, il collabore une nouvelle fois avec le guitariste Michael Harris, et à la section rythmique rien moins que Randy Coven et John Macaluso. Une bien belle brochette de talents, qui n’attend que de se faire griller au brasier de ce Glacial Inferno.
On peut dire que la discographie solo de Kuprij a connu des hauts et des bas. Atteignant parfois des sommets d’audace et de virtuosité (Extreme Measure), il se perdait ensuite dans des compositions plus progressives (VK3) ou ajoutait du chant (Revenge), ce qui le rapprochait d’un album de heavy metal presque quelconque. Cette fois, donc, on en revient à l’instrumental pur. Et c’est clairement une bonne chose tant on sent le claviériste Ukrainien à l’aise dans cet exercice. Semblant décidé à faire oublier la mièvrerie assumée de Revenge, il prend le taureau par les cornes et nous pond un album rapide, énergique, sombre et bien sûr, extrêmement virtuose. Si vous vous attendez à un bidouilleur de son, à un défricheur de nouvelles terres sonores, passez votre chemin : Kuprij possède une très grosse approche classique de son instrument et de son art.
N’oublions pas que le sieur possède un gros bagage universitaire, et est encore aujourd’hui concertiste classique, par ailleurs bardé de prestigieux prix. En toute logique pourrait-on dire, on va retrouver sur ce Glacial Inferno des sons… ben… classiques. Beaucoup de pianos, des sons lead et des nappes de chœurs, et la messe est dite. Pas d’expérimentation à la Rudess, pas de gadgets new-age ou autres bizarreries : Kuprij n’est pas ce genre d’homme. Les trois premiers titres de cette galette sont une explosive entrée en matière. Virtuoses, faisant la part belle aux duos piano/guitare, rapides, c’est à un véritable feu d’artifice qu’on assiste en entendant les rythmes martiaux de "Symphonic Force", les lignes pianistiques baroques de "Liquid Rain" et les arpèges dansants de "Fire In The Sun". La guitare n’est pas en reste et se fend de forts beaux solis, mais aussi de riffs plus lents et lourds, comme sur "Glacial Inferno" ou "Divided Horizon".
On conviendra que les mid-tempos heavy sont moins entraînants que les envolées lyriques, et pourtant, on se surprend à être fascinés par les envoûtantes mélodies de "Dancing Flame" ou les phrasés expressifs de la longue pièce "Dying To Live". Kuprij n’en oublie pas d’être mélodieux, et sait ce faire discret quand il le faut, utilisant parfois des sons plus cristallins ou des pianos très doux. Il n’y a pas vraiment de temps mort sur cet album, sinon le petit interlude "Forgive", et Kuprij a décidé de ne pas faire retomber le soufflé avant la fin. Le dernier titre "Burning Ice" se veut être un écho du début du CD, véritable bombe, mélange de heavy/speed et d’envolées pianistiques romantiques, longs arpèges qui s’enroulent ou se déroulent tandis que Macaluso martèle ses fûts tel un damné. Sans aucun doute, Glacial Inferno sait tout au long de ses cinquante minutes jouer sur les contrastes.
Des contrastes qu’on retrouve dans le titre de l’album et dans ceux des titres, Kuprij ayant apparemment choisis comme thématique le feu, la glace et tout ce qui en découle. Et son jeu se veut en conséquence tour à tour explosif, venimeux, et par endroit froid et inquiétant. On ressort de cette écoute convaincus que, après une période où l’inspiration n’était apparement pas à son beau fixe, Kuprij revient et a encore beaucoup de choses à dire. Plus cohérent que sur Forward And Beyond, plus direct que sur VK3 et beaucoup plus ravageur que sur Revenge, ce Glacial Inferno a tout pour conforter l’amateur de neo-classique mais aussi, et pourquoi pas, pour séduire qui poserait une oreille par hasard sur cet opus. Et de cette maladie fort peu répandue qu'est le metal neo-classique, on ne peut que souhaiter une vive et fulgurante propagation.
NB : Il est à noter que l'édition Européenne est en fait un double CD. Outre l'album Glacial Inferno, on retrouve en second CD l'album Revenge, jamais édité en Europe, disponible en import.