Avec du recul, la vague grunge qui a déferlé sur le monde au début des 90’s a laissé un sacré héritage rock. Nirvana reste le premier nom à être cité lorsqu’on en parle. Même ma grand-mère les connaît, c’est dire. Paradoxalement, c’était loin d’être le groupe le plus intéressant. À l’inverse, Alice In Chains, puisque c’est d’eux qu’on cause, était un des plus profonds, dans la musique mais surtout dans l’application de la philosophie du « Vie de merde » qu’appliquaient tous les groupes de ce microcosme de l’Ouest Américain.
C’est pas compliqué, dans les troupes de troubadours crées à cette époque, seul Pearl Jam a réussi à tenir la distance. Et nous parlons ici de longévité et pas forcément de qualité. Les autres Nirvana, Alice In Chains, Soundgarden, Screaming Trees, tous ceux-là ont soit raccroché les gants, soit ils ont traversé les années cahin-caha, essayant de revenir, de tenir… Cet album, sobrement intitulé Live, sort en 2000 soit, prenez des notes, cinq ans après l’album éponyme, quatre ans après le MTV Unplugged et, plus important, quatre ans après la mise en pause du groupe. En fait AIC n’existe plus depuis un moment à la sortie du disque. Alors pourquoi sortir un album en public ? D’autant plus qu’ici, il n’est point question d’un grand soir mais bien d’une sorte de compil’ de titres enregistrés entre 90 et 96. Pourquoi ? Bah, parce que les gens de chez Columbia doivent bien bouffer, et qu’il est normal de se payer sur la bête mourante.
Et c’est bien triste de l’aborder comme ça, cet album en public, parce que le groupe était suffisamment grand et bon pour posséder SON Live After Death, pour avoir dans sa discographie le témoignage intemporel de sa splendeur… Mais bon, le groupe de Cantrell a une carrière tellement déconstruite que chercher une logique à tout ça serait vain… Donc, que vaut-il ce disque ? Faut-il l’écouter, le considérer comme un vrai album ? Pas de suspens, TOI DEVOIR ECOUTER. Malgré son plus gros défaut, une setlist trop courte, sans trop de relief - on aurait aimé avoir un bon gros double bien gras, genre Rude Awakening, avec un son gonflé aux stéroïdes gros comme ça, plutôt qu’un truc un peu squelettique et frêle…- malgré ça, il faut avouer qu’on entend tout, la basse ronde et simple des deux Mike, les frappes de Kinney, les chœurs du sieur Cantrell, ses soli réussis, et la voix nasillarde et vibrante de Stayley. Donc du côté du son, on est au moins à la moyenne… Y a eu mieux, y aura pire.
Du côté de l’interprétation, c’est franchement bon. Ces morceaux rendent honneur aux originaux, certains sont même sublimés, comme le "Love Hate Love", tout droit sorti de Facelift. Plus poisseux, plus vibrant, moins précis sur le chant mais hautement inflammable. Les montées de Staley sont à pleurer tant elles sont écorchées et violentes, le placement des zicos est d’une grande précision, c’est beau, carré, intense, le final est apocalyptique, arraché. De même les extraits de l’éponyme "God Am" et "Again", s’ils perdent un peu de leur côté malsain (absence des multiples couches de chant, son moins caverneux…), se voient offrir une seconde jeunesse, une nouvelle rage et une fraicheur toute mélancolique comme il faut. Le live a du bon pour ça. Les autres titres ne sont pas en reste, "Bleed the Freak" est magnifique, parfaitement interprétée, les tubes sont tous présents ("Man in the Box", "Angry Chair", "Would?", "Them Bones") et l’album Dirt est consacré avec pas moins de sept extraits (sur une setlist de quatorze morceaux, ça fait…).
Damn! Ils nous sortent même deux morceaux inédits, "Queen of the Rodeo", un trip entre country et heavy metal, avec des paroles rigolotes, et "A Little Bitter", dans la droite lignée de ce que le groupe avait pondu sur l’éponyme, le glauque en moins. Pas mauvais, mais des versions bien senties de "Grind", de "Sludge Factory" ou de "Brush Away" n’aurait fait rougir personne. Maintenant, ne crachons pas non plus dans la chope… C’est ici, et jusqu’à présent, le seul vrai témoignage live de bonne qualité de ce grand groupe qu’était Alice In Chains. Layne Stayley étant à peu près mort, on est à peu près sûr de ne plus jamais l’entendre comme ça, et vu le bonheur que ça procure, d’entendre ce grain si particulier capable de rendre un groupe mythique en un album (suivez mon regard vers Mad Season et son Above), et bien, faut y aller quoi ! C’est un grand moment, on écraserait bien une larme en tapant des pieds, des « et si… » pleins la tête…
Ils étaient grands, n’avaient fait, en trois albums et deux EPs, que peu d’erreurs, ils avaient l’air tous sympa et auraient mérité mieux que leur carrière faisandée. Ce Live prouve à la face du monde qu’Alice In Chains était plus qu’un groupe de grunge : ils étaient le meilleur porte-parole du malaise des jeunes de l’époque, un spleen persistant et intemporel. Ce live réussit à porter à bout de bras ces messages de désespoir et de colère que ses auteurs nous ont laissés. Écoutons, simplement, ce qui était le requiem d’un grand groupe.