C’est notre ami Sebrouxx qui va se réjouir qu’un album d’un six-cordiste soit en coup de cœur pour cette mise à jour. On savait ce bon Marty Friedman amoureux du Japon (et vice-versa), et bien le voila qui lui rend un hommage vibrant et guitaristique en reprenant un certain nombre de morceaux directement issus du pays du soleil levant – à sa sauce si savoureuse, bien sur. Car Marty, c’est de la virtuosité, du talent, de l’idée, un style de jeu et une virtuosité à toute épreuve – mélange qui est le signe des grands guitaristes, ceux qui font vibrer même les non-pratiquants…
En tout cas, la pochette résume l’esprit dans lequel Marty a voulu conceptualiser ce Tokyo Jukebox : un mélange des cultures. De la culture nipponne, on retrouve les mélodies, la consistance, le mélange de naïveté, de douceur mais aussi ce côté un peu épileptique, monté sur ressorts, qui caractérise si bien la dynamique scène japonaise. Côté occidental, on retrouve la production, très heavy, et bien sûr, le jeu flamboyant de Marty, reconnaissable comme à son habitude dans son legato fluide et son toucher unique. C’était presque gagné d’avance : le mélange ne pouvait que faire mouche. Marty a choisi un certain nombre d’œuvres de la culture japonaise, dont la plupart seront inconnues du public Européen, sauf peut être des connaisseurs inconditionnels de la j-music. Les décrire une à une par le menu serait fastidieux, mais Marty nous offre ici une palette de ce qui caractérise la musique du lointain Japon, en passant du heavy à la pop, la ballade, le rock et même parfois des titres issus des charts locaux – bref, souvent des titres qui sont certainement parfaitement connus de la jeunesse nipponne.
On en retrouve donc tout ce qui en fait le charme : le côté très naïf et mielleux des mélodies ("Gift", "Story", "Romance No Kamisama"…), autant de titres que les amateurs de jeux vidéo pourraient facilement imaginer illustrer une scène particulièrement touchante ou romantique. Mais aussi, donc, ce côté hystérique, avec une batterie au taquet et des rythmes épileptiques, qui cette fois pourraient être le pendant sonore d’un générique de manga animé shonen ("Kaeritakunattayo", "Amagigoe", "Eki"…). Ces deux principales facettes que l’on retrouve dans la majorité de ces titres donnent donc un côté très dépaysant pour qui ne connaitraît pas bien l’univers musical japonais, mais ne surprendra pas les amateurs de j-pop. L’ensemble sonne très réussi, Marty ne faisant évidemment pas bêtement un copier-coller des titres originaux, mais leur insuffle sa patte, son talent et son univers sonore et mélodique, sa capacité à poser des solos parfois très simples mais qui font date – les amateurs de Megadeth ne me contrediront certainement pas. Mais, si l’ensemble fonctionne, il est vrai que certains titres intéresseront moins le fan lambda que l’amateur de j-pop, tant les sonorités japonaises peuvent être mal perçues par celui qui les découvre, habitué aux canons des musiques populaires occidentales.
Les titres les plus réussis sont généralement les plus orientés metal, où l’on retrouve un Marty en grande forme, formant une fois de plus une belle osmose avec sa six-cordes, sur des titres comme le très bon "Eki", le dynamique (mais trop décousu) "Tsume Tsume Tsume" ou l’étrange "Sekai Ni Hitotsu Dake No Hana", qui alterne entre gros riffs et mélodies sucrées – comme si souvent dans la musique japonaise. Au rang des agréables douceurs, il y a la jolie "Tsunami" qui propose de belles variations sur le même thème ou la plus tragique "Story", plus majestueuse – dont Marty avoue avoir massacré les arrangements originaux, plus R’n’B/J-Pop que heavy-metal, mais dont il aime le résultat. Au rang des petites déceptions, il y a la vaguement soporifique "Romance No Kamisama", qui malgré tout présente de belles mélodies guitare/piano/flute, mais aussi le dernier morceau, l’orchestrale "Ashita E No Sanka" (visiblement en bonus), touchante de douceur et de naïveté mais au final guère palpitante. Malgré tout, les comptes sont vite fait : il y a plus à garder qu’à jeter dans les cinquante-trois minutes de ce Tokyo Jukebox, qui ressemble à la fois tant à Marty Friedman tout en étant relativement lointain de notre culture occidentale dans laquelle nous baignons chaque jour.
Les uns trouveront probablement cela rafraichissant et dépaysant, les autres se diront sans doute que l’on a affaire à un produit issu d’une sous-culture nourrie au manga et aux jeux vidéo – ce en quoi ils ont parfaitement raison, nonobstant ce « sous » méprisant que l’on entend encore parfois de nos jours dans la bouche de certaines « élites ». En tout cas, la culture nipponne a l’avantage de nous être présentée ici par un de ses plus fidèles ambassadeurs, dont le but est certainement d’atteindre et de convaincre les oreilles occidentales de la qualité de la musique populaire japonaise. En ce qui me concerne (et ce même s’il prêchait un converti) : mission accomplie.