Il y a quelque chose de maladroit chez Steve Hackett. Pas dans son jeu de guitare, chaleureux, vibrant comme il y a quarante ans ; mais dans sa musique, qui multiplie les influences et styles divers, et les assemble dans des blocs pas toujours solides ni cohérents. Cette fragilité d’ensemble, finalement, pourrait passer pour sa marque de fabrique : l’élément déterminant qui nous conduira soit à repousser ce bric-à-brac pour se consacrer à des choses plus « maîtrisées », soit à accepter les errances, les erreurs de parcours, et se laisser porter dans l’espoir de saisir quelques soupçons de miracle.
À vrai dire, je pourrai vous resservir la chronique de Wild Orchids, tant l’album présente les mêmes qualités et souffre des mêmes défauts. La seule différence notable, c’est que le vivier d’influences s’est déplacé, passant de l’Extrême au Moyen-Orient, en témoignent "Nomads" et "Last Train to Istanbul", assez explicites. Titres qui ne comptent pas parmi les plus réussis, d’ailleurs : le mariage des éléments n’aboutit à rien de mémorable sur le second, tandis que Nomads démarre superbement, la guitare de Steve pour seul compagnon, puis s’embourbe dans un ersatz de musique pour jeu vidéo SNES. Un écart stylistique que l’on retrouve – avec un bien meilleur effet – sur l’instrumental "Tubehead", qu’on croirait sortie d’un beat’em all boosté aux amphés. La batterie programmée y est pour beaucoup, et si elle ressort bien dans ce genre d’exercice, elle manque en revanche de plomber des essais plus épiques comme "Fire on the Moon", dont le jeu de va-et-vient entre berceuse et lyrisme fait une grande partie du charme.
Mais comme dit précédemment, ça ne passe pas toujours, et l’informe "Still Waters" est un bel exemple de tentative foirée. Hackett sait comment faire sonner sa guitare pour nous servir un blues-rock vicieux, mais il se plante sur le reste des ingrédients : une batterie amorphe, un chant paresseux qui n’est pas du tout adapté au genre, et un refrain atroce, gonflé aux chœurs féminins impersonnels, qui finit de classer l’affaire dans les ratages. Ne lui reste alors qu’à revenir à ce qu’il sait faire de mieux : les rêveries tourmentées. Ce sont "Emerald and Ash" et "Sleepers" qui porteront cet étendard, et bingo : ce sont les deux grandes réussites du disque ! Une longue marche désertique pour la première, portée par un refrain plein de chaleur, d’espoir et de douceur, qui se résout néanmoins dans un dernier tiers ombrageux porté par une six-cordes vengeresse ; quant à Sleepers, la plus éthérée de toutes, la plus aboutie aussi, elle montre que Steve ne perdra sûrement jamais cette sensibilité dans laquelle certains, dont votre serviteur, se sont jetés corps et biens, et pour laquelle ils sont prêts à le suivre dans ses chemins de traverse.
Donc non, pas grand-chose n’a changé depuis Wild Orchids. Et sans doute que le successeur d’Out Of The Tunnel’s Mouth nous proposera, une fois encore, un melting-pot de courants et d’horizons épars, totalement inégal, aux arrangements parfois louches… mais, ici et là, pas loin de l’état de grâce. Et quitte à refaire une fois de plus la même chronique, je serai curieux de voir où il nous emmènera cette fois-là.