Marillion -
Happiness Is The Road, Vol. 2: The Hard Shoulder
Dans un grand élan de générosité (d’aucun diront plutôt de marketing), Marillion a donc décidé de suivre la parade et d’offrir gratuitement son nouvel album, Happiness Is The Road, en téléchargement avant sa sortie. Moyen comme un autre de contrer le piratage ou façon astucieuse de mousser l’intérêt toujours déclinant pour sa musique? Toujours est-il que, si le principe est intéressant, dans les faits il ne joue pas forcément en faveur d’une découverte idéale de l’album. Ce handicap est toutefois plus flagrant à l’écoute d’Essence qui voit sa cohérence et sa fluidité mises à mal.
Au contraire, les premières écoutes de The Hard Shoulder laissent entrevoir de très bonnes choses, surtout en comparaison de l’opacité apparente d’Essence. Il faut dire que, d’entrée de jeu, le groupe frappe très fort avec le formidable "Thunder Fly", un morceau dynamique qui présente toutes les caractéristiques du grand Marillion. Le contraste entre les passages rock (voire carrément rock’n’roll) et les breaks planants est tout simplement saisissant. Ce qui étonne avant tout, c’est la limpidité de la réalisation, qui met particulièrement en valeur la précision de la paire Trewavas/Mosley. Somewhere Else nous avait redonné espoir de voir un jour Marillion retrouver le son qu’il mérite, et c’est maintenant chose faite grâce au travail remarquable de Mike Hunter. Malheureusement, après cette entrée en matière pour le moins réussie, les choses se gâtent un peu avec ce qui risque pourtant de devenir la nouvelle référence de la frange plus progressive des fans de Marillion, pour qui les longs morceaux sont ce que le groupe fait le mieux.
À première vue, "The Man From The Planet Marzipan" et "Asylum Satellite #1" semblent pourtant s’inscrire dans la lignée de "Thunder Fly". Structure complexe, assise rythmique solide, mélodies typiquement marillioniennes, tout y est. Sauf que ça ne fonctionne pas. Pas totalement en tout cas. Tandis que le premier ne décolle jamais vraiment, le second, qui démarrait pourtant si bien, s’enlise dans une outro instrumentale interminable (plus de la moitié du morceau) sur laquelle Rothery se contente d’émuler David Gilmour. Heureusement, passé ce faux pas, le groupe retrouve le droit chemin et tente même de nouvelles choses sur le plan des arrangements. Les trois morceaux suivants sont d’élégantes perles pop auxquelles le quintet donne une couleur particulière. Que ce soit le délicat "Older Than Me", le mélancolique "Throw Me Out" ou l’optimiste "Half the World", tous proposent leur lot de surprises. Clochettes célestes, chœurs angéliques, cordes tournoyantes et refrains enivrants, tout contribue à faire du trio un pur moment de joie.
Si The Hard Shoulder n’a pas l’aspect conceptuel d’Essence et sonne à la longue comme une collection de faces B, il n’en demeure pas moins que le groupe semble avoir voulu réunir les morceaux selon un ordre logique. Après la triplette prog et la triplette pop, le disque se termine donc avec la triplette rock. Vous doutiez que Marillion puisse retrouver un jour l’intensité d’un "Hard As Love" ou d’un "King"? Attendez d’avoir écouté le surprenant "Especially True". Autant l’éternel single de rigueur, "Whatever Is Wrong With You", reste un poil convenu, autant les deux derniers morceaux profitent pleinement de la réalisation énergique de Hunter. La montée en puissance de "Especially True" est à ce titre vraiment hallucinante (Rothery y balance des larsens!) et contraste avec un départ plus tranquille. Quant à "Real Tears for Sale", il suffit de quelques écoutes pour comprendre que l’on a là encore affaire à du Marillion des grands jours. Mené par un Trewavas impérial, le groupe signe ici un futur classique qui représente bien tout ce qui le rend unique.
En un sens, The Hard Shoulder est donc le complément idéal d’Essence. Au lieu d’essayer de concevoir un ensemble cohérent avec des morceaux parfois trop disparates (le principal problème du deuxième disque de Marbles), le groupe a opté pour une solution plus logique, en choisissant en plus de distribuer les deux disques de façon distincte. Dommage encore une fois que l’équilibre ne soit pas tout à fait atteint sur le plan de la qualité et que la réunion un peu forcée des deux parties sous un même album ne permette pas forcément de les apprécier à leur juste valeur.