Korn -
See You On The Other Side
Comme pour les groupes de néo en général, le line-up de Korn était du genre solide. Jusqu'au jour où Jésus est venu bouleverser tout ça en se révélant brutalement à Brian "Head" Welch qui est depuis parti sauver les enfants en Inde tout en disant beaucoup de mal de son ancien groupe. See You On The Other Side est donc un album extrêmement particulier, et l'aurait été même sans ça: après un Untouchables assez différent et un Take A Look At The Mirror qui effectuait la synthèse de l'ancien et du nouveau Korn, les spéculations sur la teneur de ce nouvel opus auraient de toutes façons été nombreuses. A l'heure où l'écrémage fait rage dans les groupes issus de la vague néo, que reste-t-il aux parrains du genre?
C'est "Twisted Transistor", le nouveau single au clip très très culte, qui ouvre le bal. Cette compo, comme le reste de l'album, demande un certain temps avant de pleinement s'apprécier. Le riff assez simple se révèle très accrocheur, comme la ligne de chant de Jonathan Davis qui reste une des meilleurs voix du néo, voire du métal en général. Le vocaliste s'en donne à cœur joie tout eu long de l'album, devenant même démonstratif sur un certains nombre de titres. Il aime particulièrement se doubler à l'octave et atteint des notes assez impressionnantes. Par contre la nouveauté vocale de Take A Look In The Mirror - à savoir un growl de porc ultraviolent - n'est pas reprise dans cet album. La production met d'ailleurs assez peu en valeur le timbre agressif de Davis quand il est utilisé, ce qui est dommage… En ce qui concerne les instruments, cette production est avant tout extrêmement synthétique. Les rythmes de batterie comme leur son rappellent souvent une boîte à rythme, et les nappes de claviers comme les bruitages electro sont légion.
Ce trait rappelle forcément Untouchables, et il est évident que l'orientation pop mélodique de cet album est reprise et même amplifiée sur See You On The Other Side. La compo finale "Tearjerker" est presque entièrement electro et se révèle vraiment émouvante. On pense aux plages finales planantes de certains albums de Fear Factory, et c'est très joli. De même, un nombre impressionnant de refrains sur ce disque donnent dans le mélodique pur: citons en vrac "Politics", "Open Up" ou "Throw Me Away" qu'on croirait littéralement sorti d'Untouchables… Ces incursions dans la pop permettent à Davis de surenchérir en proposant moult chœurs imparables, même si ses lignes finissent parfois par sentir le réchauffé. Difficile d'écouter le refrain de "Love Song" sans penser à une multitude d'autres chansons du groupe. Korn sait également toujours envoyer la purée, mais plus rarement à l'échelle d'une compo entière. "Liar" présente ainsi un riff jumpy rentre-dedans typiquement Kornien pour laisser la place à un couplet ambiancé et un refrain au chant mélodique classieux. Idem pour "For No One" : ça commence par un riff qui fleure bon le premier album pour délaisser totalement cette orientation par la suite.
Il semblerait donc à première écoute que la musique de Korn ait au final assez peu changé suite au départ de Head. C'est à la fois vrai et faux. Faux, car le style Korn est toujours inimitable et reconnaissable entre mille. Quiconque ayant déjà écouté une fois du Korn reconnaîtra le groupe sans hésitation, et ne remarquera pas forcément qu'une seul guitariste assure toutes les parties. Par contre un fan finira forcément par tiquer: la complémentarité Head-Munky était une force indéniable du groupe, et ce trait a évidemment disparu. Le fait que les deux guitaristes jouaient au final rarement la même chose tout en créant un mur de son indiscernable était bluffant en soi. Donc les Korn ont tenté de compenser cette perte du mieux qu'ils pouvaient. En gros il y a moins de guitare sur cet album, et la débauche de sons synthétique est également là pour pallier au manque d'inventivité rythmique flagrant de certains riffs. Munky a visiblement tenté de se penser en "deux guitaristes" et certains dédoublements de guitare font mouche, mais au final le point fort de See You On The Other Side ce situe bien plus dans la complexité des arrangements et la puissance des mélodies que dans les riffs de guitare.
En conclusion ceci un album de transition, évidemment… On pouvait s'y attendre. Je le répète, même sans le départ de Head succéder à Take A Look In The Mirror était un challenge en soi tant cet album fermait un chapitre. See You On The Other Side est donc fort logiquement complexe et difficile d'accès, et ne se révèlera à vous qu'après de nombreuses écoutes. L'album tente de trouver un équilibre entre volonté d'évoluer vers de nouvelles contrées (l'indus n'est pas loin par moments) et tentative de recapturer une identité mise à l'épreuve par les circonstances. Il en ressort en album assez étrange qui risque de décevoir les fans du Korn jumpy faiseur de "tubes", mais qui sait se dévoiler avec le temps pour au finir graver certaines chansons dans le crâne de l'auditeur pour toujours. A écouter plusieurs fois…