En un seul album (Sanctus Ignis, en 2001), Adagio et son leader Stefan Forté se sont permis de s’imposer dans le style ô combien exigeant et sans pitié du metal progressif, bousculant insolemment les ténors du genre et provoquant dans l’hexagone un genre de buzz. Buzz qui s’exporte bien vite hors de nos contrées, et c’est donc un public nombreux qui attendait le deuxième album, l’œil aux aguets et le regard suspicieux. On distinguait même chez certains un objet contondant maladroitement dissimulé derrière le dos pour achever le bestiau en cas d’échec retentissant. Et bien, non seulement Underworld n’a pas été un échec, mais il s’est permis en plus d’être encore bien supérieur à son prédécesseur. Un essai totalement transformé, au-delà même des espérances qui avaient été mises sur Adagio.
Stefan Forté, toujours maître à bord, a remplacé le grand Richard Andersson aux claviers par l’inconnu Kevin Codfert : on verra bien vite que ce remplacement est loin d’être étranger à la réussite de cet album. La production, elle gagne encore en profondeur et pour cause : c’est rien moins qu’un véritable chœur (à défaut d’un orchestre dans son intégralité), l’Ensemble Vocal de Lyon, qui a été mis à contribution pour l’enregistrement d’Underworld. Et vu que le côté symphonique a encore gagné en ampleur par rapport à Sanctus Ignis, l’apport des choristes est loin d’être négligeable : ça se sent vraiment. Il n’y a qu’à entendre les quatre minutes d’introduction du titre "Underworld", véritable musique de film, pour en être convaincu. Tous les atouts semblaient donc, sur le papier, être du côté de Forté, mais les bons ingrédients ne font pas forcément la bonne soupe, et rien n’était gagné d’avance, vu l’ambition affichée du guitariste.
Il ne faut pas quatre-vingts écoutes pour être frappé par la complexité de l’ensemble. Malgré le côté un peu pompeux et grandiloquent mis par moment en avant, jamais Adagio ne sombre dans la facilité. Les arrangements tombent toujours au bon moment, et apportent une touche lumineuse à l’ensemble, appuyant les compositions alambiquées en leur procurant par moment un côté aérien, loin des cuivres médiévaux et pompeux de (au hasard) Rhapsody. Autre élément mis en avant pour le meilleur : le piano. On l’a dit, la présence de Codfert fut un atout majeur pour Underworld : car autant son jeu de synthé traditionnel (au sens metal progressif du terme) ne sort pas vraiment du lot, autant son apport au piano donne à cet album une touche unique. Beaucoup de piano, au son plus qu’excellent, (Steinway oblige…), sur la majorité des morceaux, voire même omniprésent sur la très réussie ballade "Promises" ou sur les sombres pièces progressives "From My Sleep…To Someone Else" et "Next Profundis".
Les autres instruments ne sont évidemment pas en reste, guitare en tête, dont le son a encore été amélioré. Très heavy, la sept cordes de Stefan se détache de ses influences (Romeo et Malmsteen, par exemple) et évolue vers un jeu très complexe, généreux en rythmiques tordues et en riffs bien sentis, sans oublier bien sur les incontournables solos, moments de bravoure parfaitement intégrés au reste de l’œuvre, jamais gratuits ni démonstratifs. C’est finalement ça qui fait en grande partie la force de cet Underworld : sa cohésion, sa compacité et bien sur sa virtuosité au service de la mélodie. La basse aurait mérité d’être mise un peu plus souvent en avant, tant au niveau de la production que de la composition, vu le talent de Frank Hermanny, qui nous gratifie tout de même de parties savoureuses sur (entre autres) "From My Sleep…To Someone Else" ou "The Mirror Stage".
On retiendra aussi l’atmosphère résolument sombre qui se dégage d’Underworld, bien plus que sur Sanctus Ignis. Les arrangements, les mélodies : il se dégage souvent une impression de tristesse de cet opus, mêlée à de la hargne qui prend corps dans les quelques passages orientés extrêmes de l’album, avec blast beat et chant hurlé - assuré par rien moins que Hreidmarr de Anorexia Nervosa - à la fin de "The Mirror Stage", préfigurant le prochain album sur lequel le procédé sera encore plus mis en avant. Il est assez rare de pouvoir affirmer qu’un album est bon de bout en bout, surtout quand on a affaire à une pièce aussi complexe et alambiquée que celle-ci, mais Forté a réussi sur Underworld ce tour de force. Une œuvre épique, orchestrale, que certains qualifieront de pompeuse mais qu’on ne saurait attaquer sérieusement sur ses qualités de composition et d’interprétation.