Deux ans après Spot the Psycho qui posait le ton de la farce Texanne déchaînée sur fond de riffs en mode « papier de verre », Cornbugs revient avec un nouveau chariot plein de fœtus bicéphales et d’organes cancéreux dans des bocaux remplis de formol. Poussé par un Bill Moseley qui a enfilé pour l’occasion une blouse blanche tachée de sang et suivi d’un Buckethead prenant plein de notes en hochant la tête, Cemetary Pinch suscite le même effroi inconfortable que de voir la roue usée du chariot s’enfoncer dans un nid-de-poule, tous ces bocaux s’entrechoquer, les fœtus, reins et foies noircis buter contre le verre, le formol clapoter et Bill Moseley éclater d’un rire moqueur.
Cemetary Pinch est une parenthèse dans le parcours de Cornbugs. Pour ce qui est de la musique, Pinchface est totalement absent de la galette (avant de revenir pour la suite, et faire de Cornbugs un trio) et Buckethead vient d’être engagé par Axl Rose pour servir de guitariste aux Guns’n’Roses, résultant dans une perte magistrale de disponibilité. Pas de batteur et un guitariste la plupart du temps occupé ailleurs par des répètes intensives, ça donne une boîte à rythme omniprésente, aussi volontairement grossière que sur Spot the Psycho, et des parties de guitare bien plus éparses. Ensuite, l’album été conçu dans une optique « happy hallowe’en », délaissant le trip Massacre à la Tronçonneuse pour se consacrer à des thèmes horrifiques plus variés et conventionnels (les croque-mitaines, les bateaux fantômes, la mort vue par un enfant etc.). La conséquence la plus frappante de ce changement d’optique est que Chop Top, le péquenot hostile, s’efface progressivement derrière la figure de Moseley, le poète.
Le poète. On touche à quelque chose, là. Tout au long de Spot the Psycho, Moseley faisait preuve d’une aisance captivante à créer des histoires pleines d’imagination, d’hallucinations, de personnages et de situations osés, de rythme, de rimes, de jeux de mots et d’une maîtrise exemplaire du langage vernaculaire et de l’accent du sud des Etats-Unis, le tout véhiculé par un spoken word pour le moins particulier. Mais voilà, jusqu’à présent il ne s’exprimait qu’à travers Chop Top, personnage obsédé et loufoque, ayant sa propre voix, sa propre vision du monde, son propre contexte et donc, forcément, ses limites. Avec Cemetery Pinch, Bill Moseley commence à se diversifier, s’épanouir : "Skeleton in the Closet", chansonnette biaiseuse et traumatisante, est racontée du point de vue d’un enfant terrifié par un squelette dont il est le seul à percevoir la menace et c’est un narrateur omniscient qui nous parle de "The Woe of the Sargasso Sea" (pour les aficionados de Watchmen, pensez au Black Frighter mis en poème). Et même si Chop Top est toujours là à faire coucou et à ricaner de temps à autres, on ne fait que deviner sa présence anthropophage à travers "Buried Child", "Ed Gein" et "Brain Dead", sketche à caractère informatif.
Pour revenir à Buckethead, outre sa propension à pondre ces riffs râpeux uniques, notons ses tentatives de slap discret ("Poker Face" et "Ain’t No Devil") et, plus étrange, l’incursion de quelques samples bidouillés ici et là : des bouts de musiques biscornus, un rire gras étouffé sur fond de polka ("Polka Hell"), une balle de ping pong qui rebondit ou encore une voix de femme enjoignant on ne sait qui à aider sa fille ("Buried Child"). Pour couronner le tout et, peut être, compenser l’absence partielle de sa guitare, Buckethead semble faire joujou avec quelques fonctionnalités de sa boîte à rythme (une basse synthétique préprogrammée sur "Pain Donkey") ainsi qu’avec un synthé aux sonorités on ne peut plus cheapos et déprimantes. Ce synthé, digne de l’accompagnement musical du dernier des navets d’horreur fauché des années 80, quand il n’est pas utilisé par à-coups désarmants durant un morceau, sers de fond sonore aux textes les plus sinistres de Moseley (les deux poèmes cités plus hauts, notamment), développant des atmosphères vaporeuses, putrides et réellement angoissantes finissant de rendre l’arrivée de riffs « normaux » presque rassurante.
Bourré de textes macabres, grotesques, inventifs en diable, soutenus par un collage musical à base de riffs sursaturés et de sons sinueux, enregistré en à peine sept heures - dont une et demie a été consacrée à un repas - dans la cuisine de Buckethead, Cemetery Pinch est sans aucun doute l’effort le plus expérimental et glaçant de Cornbugs. Amis du système D le plus extrême (avec respirations dans le micro et tout), de l’originalité, de l’ingéniosité et des ambiances de cauchemars, cet album vous tend les bras.