Paranoid, c’est un peu le classic album de Black Sabbath. Pas forcément le plus novateur, le plus heavy ou le plus fouillé, mais bien le plus immédiat et l’un des plus jouissifs. Qu’on se le dise: la popularité de ce disque ne provient pas du fait qu’il aurait posé les bases du metal jusqu’à aujourd’hui (et à ce propos, cette remarque s’adresserait plutôt à l’album suivant, Master Of Reality), mais tout simplement parce que tout y est excellent. C’est bien simple, sur Paranoid, il n’y a que des classiques!
On réclame des preuves? Allons-y pour la track-list: "War Pigs", "Paranoid", "Planet Caravan", "Iron Man", "Electric Funeral", "Hand Of Doom", "Rat Salad", "Fairies Wear Boots" : soit une pelletée de riffs inoubliables, des breaks ravageurs et un solo de batterie même pas chiant: que demander de plus? Avec, en prime, un Ozzy Osbourne en top-forme, qui n’a pas encore opté pour ce chant théâtral qu’il mènera à son apogée sur le définitif Sabotage, mais la sobriété n’empêche pas l’excellence: remarque de même valable pour le Maître ès riff Tony Iommi, qui s’emploie à nous montrer qu’un solo n’a pas besoin d’être démonstratif pour être efficace, surtout quand la section rythmique (Geezer Butler et Bill Ward, pas manchots) assure derrière. Iommi-Osbourne-Butler-Ward: quatre compères qui s’entendent à merveille lorsqu’il s’agit de faire un boucan d’enfer.
Et qui pourrait leur en vouloir? Retour en février 1970: Black Sabbath a vendu 40 000 exemplaires de son album éponyme aux States en deux semaines, avant de s’installer dans les charts pendant dix-huit mois; même chose chez nos amis anglais où l’album squatte les charts britanniques cinq mois durant. Pas mal pour un premier album en général: plus que surprenant pour un disque qu’on aurait certainement qualifié de « metal extrême » à l’époque de sa sortie. Le genre de résultats qui donne envie de s’y remettre, là, tout de suite, avec la franche volonté de signer l’album qui va tout péter. Le résultat tombe dans les bacs durant l’été 1970 (!), album qui aurait dû porter le nom de sa pièce d’ouverture (d’où la pochette): l’impérial "War Pigs" et son riff grondant qui annonce la couleur; malgré des paroles franchement quelconques (style « bouh la guerre c’est pas bien »), il faut se rendre à l’évidence: ce titre claque. Construction exemplaire, rythmiques formidables. C’est encore le titre chéri de nombreux fans du groupe.
Mais, la faute à une situation américaine assez préoccupante (le bourbier du Viêt-Nam), l’album se nommera finalement Paranoid, d’après le morceau éponyme symptomatique du « riff qui tue » et single qui cartonne des deux côtés de l’Atlantique. Mais si, en effet, le riff de "Paranoid" est un véritable appel aux instincts primaires, que dire de celui d’"Iron Man", peut-être bien le meilleur titre du Sabbath? Une intro pesante qui met en condition, puis THE Riff qui vous transporte dans une autre dimension… Le genre de truc qu’on jurerait avoir entendu toute sa vie, alors qu’il n’en est rien. Ca relève du subconscient, ça. Le reste du titre n’est que succession de moments de bonheur. Monstrueux.
Vous en voulez encore, du riff orgasmique? Vous allez avoir votre dose avec "Fairies Wear Boots", le type même de morceau qu’on devrait se mettre au réveil, histoire d’avoir la pêche toute la journée. Est-il nécessaire de préciser qu’Ozzy chante comme un dieu sur ce titre? Moins pêchu, mais tout aussi bon: "Hand Of Doom", sa basse meurtrière et sa rythmique quasi-jazz, puis ce break salvateur qui remet les points sur les i: « alors, mon petit, on fait joujou avec les seringues? Tu vas voir ce qu’il t’en coûte… » Eh oui, pour le coup, la bande à Iommi se la joue anti-héroïne. Ce qui ne les empêchera pas de vanter les mérites de la marie-jeanne ou de la poudre blanche sur les albums suivants… Fin de la parenthèse. Et "Electric Funeral"? Vous avez déjà goûté au break d’"Electric Funeral" ? Cette parenthèse quasi-funky au milieu de ce titre impressionnant de lourdeur (dans le bon sens du terme) est absolument jubilatoire… (quand Iommi fait « chanter sa guitare », raaaah…) Ca balance, ça ne prend pas de gants et c’est trop bon.
Mais, me demanderont les âmes sensibles, au milieu de ce déluge d’électricité et d’agressivité, n’y a-t-il pas un moment d’accalmie, une ballade tranquille où il est également possible de s’évader? La réponse est oui, cent fois oui: "Planet Caravan" est la preuve ultime que Black Sabbath excelle aussi dans le domaine des ballades. Il me sera bien difficile de décrire l’atmosphère intimiste et troublante de ce titre, une sorte d’hallucination tranquille où défilent prairies désertes, jeunes filles en fleurs et voyage spatial… sentiment renforcé par la voix trafiquée d’Ozzy, qui se transforme en émissaire d’un autre monde. Interprétation tout à fait personnelle de ce titre, chacun y mettra ce qu’il veut, et il n’aura aucun mal à le faire, tant ce "Planet Caravan" est délicieusement immersif.
Paranoid, l’album, c’est tout cela et encore un peu plus. Quarante minutes de sensations fortes, un must absolu pour tout amateur de metal. Et ce n’est pas un son typé 70’s (qui me plaît bien, d’ailleurs) qui parviendra à entacher l’aspect intemporel de ce disque. Sa réputation de classique n’est pas usurpée: allez-y les yeux fermés.